Qui s’intéresse au sort de 10 000 palestiniens détenus dans les prisons israéliennes?

Négligence et tortures : l’Occident ignore le sort des Palestiniens coincés dans les geôles israéliennes.

Les prisonniers relâchés racontent avoir souffert en détention illimitée, mais il est peu probable que leur sort intéresse beaucoup en Occident selon Eva Bartlett.

Depuis plus de six mois, le monde assiste à la campagne dévastatrice menée par Israël contre les Palestiniens à Gaza, qui a fait plus de 34 000 morts (dont plus de 16 000 enfants).

Cependant, rares sont ceux qui sont au courant des quelque 10 000 Palestiniens détenus dans les prisons israéliennes, dont beaucoup sont arrêtés de manière répétée et détenus pour de longues périodes indéterminées. Parmi eux, des enfants, des étudiants universitaires, des médecins et des journalistes.

Bien que ces chiffres aient considérablement augmenté en seulement six mois, la couverture médiatique manque, à l’exception de quelques reportages sur Layan Naser, l’une des étudiants de l’Université chrétienne réemprisonnée au début du mois. Tôt dans la matinée, l’armée israélienne l’a emmenée de chez elle, ses parents tenus en joue. Mais ce n’est pas un cas isolé, elle n’est qu’un des nombreux étudiants palestiniens enlevés de la même manière, prétendument au nom de la sécurité, pour avoir participé à des activités militantes sur le campus.

Le 7 avril, la Commission palestinienne des affaires des détenus et des ex-détenus a condamné les derniers enlèvements en date de Layan Kayed et Layan Naser, deux jeunes femmes qui avaient déjà été prises pour cibles et emprisonnées, parmi de nombreuses autres personnes.

Justifier une incarcération sans fin

Le problème plus large est que, au 17 avril, Jour des prisonniers palestiniens, plus de 9 500 Palestiniens sont incarcérés dans les prisons israéliennes, dont environ un tiers dans le cadre de ce qu’on appelle la « détention administrative ». Cette procédure permet à l’armée israélienne de détenir des personnes sur la base de preuves secrètes pour une durée indéterminée et sans procès. Israël justifie cette pratique par ses lois sur les pouvoirs d’urgence, dans le cadre de l’état d’urgence en vigueur en permanence dans le pays depuis 1948.

Depuis le début de la guerre dans la bande de Gaza en octobre, Israël a emprisonné quelque 3 000 Gazaouis, selon une enquête menée par l’ONG palestinienne Centre al-Mezan pour les droits de l’homme. Selon le centre, il s’agit notamment « de femmes, d’enfants, de personnes âgées, ainsi que de professionnels tels que des médecins, des infirmières, des professeurs et des journalistes ».

Sur ces 3 000 prisonniers, 1 650 Gazaouis sont incarcérés en vertu de la loi sur les combattants illégaux. Cette loi est similaire à la « détention administrative » mais concerne spécifiquement les Gazaouis. De la même manière, ils sont emprisonnés sans accusation ni représentation légale, soupçonnés d’être des « combattants illégaux ». Selon le centre al-Mezan, ils sont « isolés du monde extérieur » et « ne bénéficient ni du statut de prisonnier de guerre en vertu de la troisième convention de Genève, ni de la protection accordée aux détenus civils selon la quatrième convention de Genève ». Trois cents autres personnes (dont dix enfants), qui ne sont pas actuellement détenues au titre de la loi sur les combattants illégaux, sont emprisonnées dans l’attente d’une enquête.

Dans le même temps, en Cisjordanie, selon la Commission palestinienne des Affaires des détenus, au 16 avril, 8 270 Palestiniens ont été arrêtés, dont 275 femmes, 520 enfants, 66 journalistes (dont 45 incarcérés jusqu’à maintenant, 23 étant en détention administrative).

Parmi ceux-ci, 80 femmes (Gazaouies non compris) et plus de 200 mineurs sont emprisonnés. Le nombre total de personnes placées en détention administrative s’élève à plus de 3 660, dont plus de 40 enfants.

Depuis le 7 octobre, 16 prisonniers palestiniens provenant de Cisjordanie sont morts dans les prisons israéliennes en raison de « pratiques systématiques de torture, de crimes médicaux, de la politique de la famine et de nombreuses autres violations et abus perpétrés à l’encontre de détenus hommes et femmes, mineurs comme âgés », selon un rapport de l’organisation Société des prisonniers palestiniens.

Le journal israélien Haaretz indique que 27 Gazaouis sont décédés depuis le 7 octobre : « Les détenus sont morts dans les centres de Sde Teïman et d’Anatot ou lors des interrogatoires sur le territoire israélien. » Le même article cite un rapport de l’UNRWA publié récemment par le New York Times, selon lequel les prisonniers gazaouis libérés ont déclaré avoir été tabassés, volés, déshabillés et violés, privés de soins médicaux et de l’assistance d’un avocat.

Des Guantanamo israéliens

Des rapports de torture concernant des Palestiniens incarcérés (y compris des enfants) sont publiés depuis des années et se multiplient ces derniers mois. Le groupe israélien de défense des droits B’Tselem note que « chaque année, Israël arrête et détient des centaines de mineurs palestiniens tout en violant systématiquement leurs droits pendant l’arrestation et l’interrogatoire. »

En mars, le directeur exécutif du Comité public contre la torture en Israël (PCATI) s’est déclaré extrêmement préoccupé, déclarant que 10 000 Palestiniens emprisonnés représentaient « une augmentation de 200 % par rapport à une année normale » et que depuis octobre 2023, au moins 27 Palestiniens étaient morts dans des camps de détention israéliens dans la bande de Gaza. Parmi ces prisonniers figurent des enfants ainsi qu’une grand-mère de 82 ans.

D’après ce que j’ai vu en janvier 2009 à Gaza, ces camps de détention sont de grandes zones rasées au bulldozer, où il n’y a ni tentes ni abris. Certains anciens détenus les décrivent comme des « cages à ciel ouvert » où les prisonniers « sont menottés et ont les yeux bandés 24 heures sur 24 ».

Il y a de nombreux témoignages de maltraitance des Palestiniens dans les prisons israéliennes. Par exemple, un homme âgé du sud de Gaza aurait été tellement torturé que sa jambe s’est infectée et a dû être amputée après sept jours de négligence médicale. Un autre prisonnier de 60 ans aurait été détenu et sévèrement battu pendant plus de 50 jours. Des groupes de défense des droits continuent de documenter ces témoignages et de les dénoncer.

Au mois de février, des organisations comme Adalah, HaMoked, Médecins pour les droits de l’Homme – Israël et le Comité public contre la torture en Israël ont soumis un appel au rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et d’autres formes cruelles et inhumaines de traitement ou de punition, « l’exhortant à prendre des mesures immédiates pour mettre fin aux abus, à la torture et aux mauvais traitements systématiques des prisonniers et détenus palestiniens dans les prisons et les centres de détention israéliens. »

Al Mezan rapporte avoir visité 40 Palestiniens détenus dans les prisons d’Ashkelon et d’Ofer dont les témoignages font état de coups brutaux et de privation délibérée de nourriture comme forme de torture et de punition collective. L’un d’entre eux, âgé de 19 ans, a déclaré à Al Mezan que « ses trois ongles avaient été arrachés avec des pinces pendant l’interrogatoire » et avoir été « menotté et ligoté dans des positions douloureuses pendant de longues périodes – trois fois en trois jours d’interrogatoire.

Selon les rapports d’Al Mezan, tous les détenus « souffrent d’émaciation sévère, de fatigue et de courbure du dos, étant donné qu’ils étaient obligés de courber le dos et la tête en marchant. L’avocat de l’organisation qui a parlé aux prisonniers a déclaré n’avoir jamais vu des conditions carcérales aussi mauvaises en 20 ans de travail avec les détenus.

Plus récemment, Haaretz rapportait qu’un médecin traitait des Palestiniens dans un hôpital de campagne israélien dans des conditions horribles : « Rien que cette semaine, deux prisonniers ont été amputés de leurs jambes en raison de blessures causées par les menottes, ce qui n’est malheureusement que la routine. » Selon lui, tous les patients ont les quatre membres menottés, les yeux bandés et sont nourris à la paille, ce qui signifie que « même les patients jeunes et en bonne santé perdent du poids après une semaine ou deux d’hospitalisation.

Comparez cette situation aux cas où des rapports ou des affirmations similaires proviennent d’un État ciblé par Washington pour un changement de régime ou qualifié de « voyou » ou comme « adversaire ». Dans pareils cas, les affirmations sont souvent prises pour argent comptant, extrapolées, amplifiées et sont largement diffusées. Par exemple, en 2017, les médias occidentaux se sont rués sur les allégations d’un « abattoir » dans la ville syrienne de Seidnaya où il y aurait eu des « pendaisons de masse » par le gouvernement syrien. Ces accusations ont été reprises sans critique par les médias nationaux, bien qu’elles contiennent de nombreuses erreurs et ne soient pas fondées sur des sources primaires.

Les médias occidentaux détournent la caméra

On relevait à l’époque qu’Amnesty International admettait qu’en absence de photos, de vidéos ou de témoignages concrets de la prison de Seidnaya, ils avaient été contraints de concevoir « des moyens uniques avec des modèles 3D interactifs, des technologies digitales, des animations et des logiciels audio » ainsi que de se mettre en relation avec les ONG occidentales soutenant les efforts visant à renverser le gouvernement syrien pour rédiger leur rapport que les médias ont mis en avant parce qu’il appuyait le narratif de l’OTAN sur la Syrie.

Lorsqu’il s’agit des prisonniers palestiniens et de leurs témoignages de torture, de privation de nourriture et de refus de soins médicaux urgents pendant leur détention ou dans les prisons israéliennes, on ne voit un tel niveau d’effort et de couverture médiatique nulle part, sans doute du fait de la gêne politique que cela causerait à Washington et à ses alliés.

Eva Bartlet

 

Source : RT via Commun Commune

 

Eva Bartlett est une journaliste indépendante canadienne. Elle a passé des années sur le terrain à couvrir des conflits au Proche-Orient, en particulier en Syrie et en Palestine

 



Articles Par : Eva Bartlett

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