Conformément à la Loi sur les responsabilités du Congrès de 1995, le Bureau de la conformité a compilé et publié des statistiques choquantes portant sur 1) le nombre de règlements financiers payés à ses employés et stagiaires à la suite d’allégations de mauvais traitements par des législateurs; 2) le montant total en dollars payé par le Trésor étasunien aux victimes de mauvais traitements qui travaillent au Congrès.
Les contribuables étasuniens ont dû payer des millions de dollars en règlements financiers à la suite de centaines d’affaires de mauvais traitements commis par des membres du Congrès, y compris du harcèlement sexuel flagrant, à l’endroit de stagiaires, membres du personnel et employés de bureau des deux sexes. L’existence de ce fonds secret a été cachée au peuple étasunien. Bon nombre des victimes de mauvais traitements ont été indemnisées et réduites au silence en regardant les élus défiler comme des modèles de vertu et des défenseurs de leurs électeurs.
Les données publiées par le Bureau de la conformité du Congrès portent sur une période s’échelonnant de 1997 à novembre 2017. Pendant cette période, 264 victimes ont dénoncé les mauvais traitements qu’elles ont subis, par des membres du Congrès dans certains cas. Le Trésor étasunien a versé secrètement plus de 17 millions de dollars aux victimes sans toutefois révéler l’identité des membres du Congrès impliqués, qui sont protégés en vertu de la loi de 1995.
Autrement dit, les membres du Congrès étasunien, y compris des agresseurs sexuels en série et des intimidateurs incontrôlables, se sont eux-mêmes protégés contre toute divulgation publique. Ils peuvent donc continuer de s’en prendre à leurs employés en toute impunité sans subir de pertes matérielles et sans être humiliés publiquement devant leur famille. Ainsi protégés, ils peuvent s’attendre à être réélus et récidiver pendant que les contribuables paieront les « compensations » secrètes!
Directions des partis politiques au Congrès et protection des agresseurs
L’examen de l’affiliation politique des dirigeants et des présidents du Congrès pendant ces vingt années de mauvais traitements révèle que les deux partis politiques se sont évertués à protéger les délinquants et les pervers dans leurs rangs.
Pendant les dix premières années (1997-2007), le Congrès était contrôlé par le parti républicain. Au cours de cette période, le Trésor a versé secrètement 11 millions de dollars à titre de compensation aux victimes.
Les démocrates ont pris le contrôle de la « Chambre » pendant les trois années suivantes (2008-2011), au cours desquelles le Trésor a versé plus de 2,5 millions de dollars. Cette forme de « coopération bipartisane » perverse a permis aux agresseurs des deux partis de maltraiter, d’humilier et d’exploiter leurs employés et leurs jeunes stagiaires en toute impunité.
Au cours des cinq dernières années (2012-2017), les républicains ont repris le contrôle de la Chambre et assuré le versement en secret de plus de 3,5 millions de dollars, en guise de compensation pour des mauvais traitements « bipartisans ».
Au chapitre du nombre d’employés victimes de mauvais traitements, 133 les ont subis sous les républicains (1997-2007), 48 sous les démocrates (2008-2011), puis 73 pendant la période la plus récente sous contrôle républicain. (2012-2017). Toutes les victimes qui ont déposé des plaintes se sont vu imposer un tas d’intimidations procédurales, de « séances de counselling » de périodes « de réflexion » et de contraintes juridiques pour qu’elles gardent le silence.
Lorsqu’on examine les mauvais traitements subis à l’intérieur du Congrès au prorata, les exactions touchaient en moyenne 13 victimes par an sous les républicains, et 12 victimes par an sous les démocrates. Une uniformité et une continuité des cas de mauvais traitements existent donc à l’intérieur du système politique étasunien, que le contrôle du Congrès soit assuré par les républicains ou les démocrates. C’est le signe d’une culture et d’une pratique politiques que se partagent les « Solon » des USA. Quelles que soient leurs différences idéologiques rhétoriques, les deux partis coopèrent avec une grande civilité au chapitre des mauvais traitements infligés à leurs employés.
En effet, dans les salons du Congrès, une sorte de privilège féodal est exercé à l’endroit du personnel, les employés et les stagiaires étant perçus comme des paysans. Cela rappelle le « droit de seigneur » qu’on avait fini par interdire. Cette culture d’abus de pouvoir féodal, tellement courante dans le secteur privé, dans les très grandes entreprises, à Hollywood et dans les médias, s’est propagée dans les centres du pouvoir politique étasunien, abandonnant à leur sort des milliers de victimes brutalisées et leurs proches impuissants, en proie aux effets à long terme de l’humiliation, de l’amertume et du sentiment d’injustice qu’ils ressentent. Derrière chaque jeune employé traité comme un serf par un législateur tout puissant, il y a des dizaines de membres d’une famille – pères, frères, mères, sœurs et conjoints – impuissants, qui doivent composer avec des décennies de ressentiment silencieux contre ces agresseurs.
Il n’y a pas de quoi se surprendre quand on sait que les deux partis sont financés et contrôlés par des dirigeants de grandes entreprises, des magnats d’Hollywood et des spéculateurs de Wall Street, qui ont exploité et maltraité leurs employés avec impunité jusqu’à ce que le tout récent mouvement « Me-Too » éclate spontanément. Avec la transformation du milieu de travail en une sorte de domaine néo féodal, le mouvement « Me-Too » pourrait s’apparenter à une « révolte paysanne » contre les seigneurs.
Direction présidentielle et mauvais traitements en milieu de travail
Plusieurs présidents des USA ont été accusés d’agressions et d’humiliations sexuelles graves à l’endroit d’employés de bureau et de stagiaires, à commencer par l’ignoble William Jefferson Clinton. Cependant, le Bureau de la conformité du Congrès, conformément à la loi sur les responsabilités du Congrès de 1995, ne recueille pas de statistiques sur les mauvais traitements présidentiels et les règlements financiers. Nous pouvons toutefois examiner le nombre de victimes du Congrès et les paiements effectués pendant les mandats des différents présidents ces vingt dernières années. Cela permet ainsi de savoir si ces présidents ont donné des directives ou fait preuve de leadership pour que cessent les mauvais traitements subis sous leur administration.
Sous les présidents William Clinton et Barack Obama, les données s’échelonnent sur 12 ans, soit de 1997 à 2000, et de 2009 à 2016. Sous les présidents George W Bush et Donald Trump, les données s’échelonnent sur 9 ans, soit de 2001 à 2008, et 2017.
Sous les deux présidents démocrates, 148 employés des législateurs ont été victimes de mauvais traitements et le Trésor a versé environ 5 millions de dollars. Sous les présidents républicains, 116 employés ont été maltraités et 12 millions de dollars ont été versés.
Sous les présidents démocrates, le nombre moyen de victimes de mauvais traitements était de 12 par an. Sous les républicains, il était de 13 par an. À l’instar des dirigeants du Congrès, les présidents issus des deux grands partis ont fait preuve d’une remarquable constance en tolérant les abus de membres du Congrès.
Abus de membres du Congrès : ce que cela signifie à plus grande échelle
Les mauvais traitements en milieu de travail par des représentants élus à Washington sont encouragés par le copinage politique, les loyautés et l’à-plat-ventrisme éhonté, que renforce la structure du pouvoir omniprésente dans la classe dirigeante. Les membres du Congrès exercent un pouvoir quasi total sur leurs employés parce qu’ils n’ont pas de compte à rendre à leurs pairs et à leurs électeurs. Ils sont protégés par leurs bailleurs de fonds, par le système « judiciaire » spécial du Congrès et par les médias de masse, qui sont complices en gardant le silence.
L’ensemble du système électoral est fondé sur une hiérarchie de pouvoir, où ceux qui sont au sommet peuvent exiger la subordination et faire respecter leurs demandes de soumission sexuelle, assorties de menaces de représailles contre la victime ou les membres indignés de sa famille. Cela rappelle le système de plantation féodale.
Cependant, à l’instar des soulèvements paysans sporadiques du Moyen Âge, certains employés se lèvent, résistent et réclament justice. Il est courant de voir des agresseurs du Congrès se tourner vers leurs chefs de bureau, souvent des femmes, qui deviennent ainsi des « capos » chargés de menacer puis d’acheter l’accusateur, à même les fonds publics. Ce nouvel affront ne touche jamais le portefeuille de l’agresseur ou de son mandataire au bureau. La compensation est versée par le Trésor étasunien. La situation financière et sociale des agresseurs demeure ainsi intacte lorsqu’ils songent à occuper un emploi lucratif comme lobbyistes plus tard.
Tout cela ne se produit pas indépendamment de la structure plus large qui englobe la classe dirigeante et le pouvoir.
L’exploitation sexuelle des employés dans les salles du Congrès est une composante du système socioéconomique dans son ensemble. Les représentants élus qui maltraitent leurs employés de bureau et leurs stagiaires partagent les mêmes valeurs que les patrons des grandes sociétés et de l’industrie culturelle, qui exploitent leurs travailleurs et leurs subordonnés. À une échelle encore plus vaste, ils partagent les mêmes valeurs et la même culture que l’État impérial qui brutalise et viole des pays et des peuples indépendants.
Les mauvais traitements et l’exploitation érigés en système par le Congrès et l’élite corporatiste, culturelle, universitaire, religieuse et politique dépendent d’intermédiaires complices qui font souvent partie de groupes à la carrière ascendante. Les législateurs les plus abusifs embauchent des femmes à la carrière ascendante comme directrices des relations publiques et chefs de bureau, qui sont chargées de recruter les victimes puis, au besoin, de faire le nécessaire pour les compenser. Dans le monde des affaires, les PDG confient souvent les « relations du travail » à d’anciens travailleurs d’usine, à des dirigeants syndicaux, à des femmes et à des membres de minorités, se donnant ainsi un air progressiste pour mieux exclure les dissidents et faire appliquer les directives à l’encontre des lanceurs d’alertes. À l’échelle mondiale, les seigneurs de la guerre politique travaillent main dans la main avec les médias de masse et les ONG humanitaires interventionnistes pour diaboliser les voix indépendantes et glorifier les militaires qui massacrent les résistants, tout en prétendant défendre l’égalité entre les sexes et les droits des minorités. C’est ainsi que l’invasion et l’occupation de l’Afghanistan par les USA ont été largement rapportées par les propagandistes comme une « libération de la femme afghane ».
Les pervers du Congrès ont leur propre mission secrète : maltraiter le personnel, enrichir les riches, imposer le silence et approuver la législation en faisant payer la facture aux contribuables.
Il est à espérer que le mouvement « Me Too! » en cours contre l’exploitation sexuelle en milieu de travail prendra de l’ampleur et deviendra un mouvement plus large contre le néo féodalisme sur le plan politique, commercial et culturel, qui mènera à un mouvement politique unissant les travailleurs dans tous les domaines.
Prof. James Petras
Article original en anglais :
Protecting the Sex Abusers: U.S. Congress in Search of an Unspoken Bordello, publié le 24 décembre 2017
Traduit par Daniel pour Mondialisation.ca
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