Négocier ou ne pas négocier avec Israël ?

La résistance palestinienne s’oppose à la reprise de négociations directes avec l’ennemi israélien, du moins tant que l’entité sioniste – Israël – n’aura pas accepté un certain nombre de conditions préalables telles que le gel total de toutes constructions dans les colonies d’occupation, et l’arrêt total de l’établissement de nouvelles colonies en Cisjordanie et à Jérusalem, ainsi que l’arrêt des arrestations arbitraires de Palestiniens et la levée du blocus illégal et illégitime contre Gaza (1). Reprendre les pourparlers directs ou indirects sous occupation et sous colonisation s’est capitulé devant l’ennemi et c’est déjà perdre les négociations à venir comme le soulignait le secrétaire général du Mouvement de l’initiative nationale palestinienne, Dr. Mustafa Al-Barghouthi (2). Malgré ces mises en garde répétées, Mahmoud Abbas annonçait récemment la relance de pourparlers directs entre l’Autorité palestinienne et l’état sioniste (3).
L’exemple vietnamien
Lors de la guerre du Viêtnam (1959-1975), le Viet Cong a été accusé de négocier avec l’ennemi américain et de trahir ainsi la lutte de libération nationale vietnamienne. Le Viet Cong a effectivement négocié avec l’agresseur américain, mais ceci ne constituait nullement une trahison de la résistance vietnamienne. Du côté vietnamien les négociations étaient menées par ceux qui dirigeaient la guerre de résistance et les pourparlers de paix étaient étroitement soumises à la situation sur le terrain de combat et assujetties au soutien dont bénéficiait le Front National pour la Libération du Sud Vietnam (Viet Minh ou Viet Cong) de la part du peuple vietnamien au Nord et au Sud de l’arbitraire 17e parallèle (4).
Les négociations bénéficiaient aussi du soutien des peuples du monde alors que les riches, le grand capital et les médias occidentaux, déchaînaient leur propagande raciste contre la résistance Viet Cong. La ligne politique, les objectifs du combat, la stratégie de résistance et la tactique de guérilla rurale et urbaine du Front de Libération Nationale du Sud Vietnam étaient claires, et sans équivoques. Les négociations étaient une forme de la résistance et de la lutte de libération nationale de tout le territoire vietnamien occupé par les Américains. Jamais il ne fut question de négocier la fin des bombardements américains contre la fin de la résistance vietnamienne. La fin de l’occupation américaine du Sud Vietnam a toujours été l’objectif stratégique de la résistance Viet Cong.
Pour ces raisons, la lutte de libération nationale du Vietnam, tout comme celle de la libération nationale de l’Algérie, dirigée par le FLN algérien, est considérée comme deux modèle à suivre dans l’art de coordonner la résistance à l’occupation – dont la lutte armée – et les négociations victorieuses qui entérinent et complètent le rapport de force militaire sur le terrain.
Les accords d’Oslo
C’est pour avoir ignoré ces enseignements que le leadership de l’OLP s’est embourbé dans le piège d’Oslo et les accords de Camp David (2000), d’où il ne parvient plus à s’extirper. L’Autorité palestinienne est une structure administrative imaginée par l’occupant sioniste qui l’a imposée à l’OLP par les accords d’Oslo. L’Autorité palestinienne est un système de protectorat qui assure la gestion au quotidien des camps d’internements de Gaza, de Cisjordanie et de Jérusalem-Est où sont parqués plus de quatre millions de Palestiniens sans droit, sans pouvoir, sans possibilité de se déplacer et qui peuvent à l’occasion être délogés, expulsés et leurs maisons détruites, au gré des activités sionistes de nettoyage ethnique (5).
Une telle situation désastreuse pour le Peuple palestinien est le résultat direct des négociations d’Oslo. Quelle était la situation avant l’amorce de la ronde de négociations qui a conduit aux accords d’Oslo I en 1993 et aux accords de Washington (Oslo II) en septembre 1995 ?
L’armée israélienne puissante, surarmée, bien équipée, solidement soutenue par les États-Unis, son réseau de satellites-espions, ses radars de surveillance, ses drones, son armement sophistiqué et meurtrier, avait l’initiative sur le terrain et dominait largement la confrontation armée. Elle occupait tout le territoire de l’ancienne Palestine du mandat britannique et elle menait à l’occasion des agressions dans divers pays du Proche-Orient (Liban, Syrie, Égypte, Irak, Libye, Tunisie, etc.). Les services secrets israéliens espionnaient partout et assassinaient qui bon leur semblaient dans n’importe quel pays à travers le monde. L’armée sioniste et le Mossad semblaient invincibles.
Pourtant, cette armée de métier, aguerrie, ne parvenait pas à exterminer la résistance palestinienne de Cisjordanie et de Gaza. La soi-disant quatrième armée la plus puissante au monde ne parvenait pas à maîtriser la résistance à l’intérieur des territoires qu’elle occupait. Lors de la deuxième Intifada (2000), la résistance a porté des coups meurtriers aux sionistes jusqu’au cœur de Tel-Aviv, de Jérusalem, d’Haïfa. Le leadership de l’OLP était en exil, d’où il portait des coups à l’occupant sioniste. Le leadership de la résistance armée résidait en Cisjordanie et à Gaza, dissimulé comme un poisson dans l’eau parmi la population palestinienne qui le protégeait des traques israéliennes. Dans ce contexte favorable, le 15 novembre 1988 à Alger, le XIXem Conseil national palestinien a reconnu l’État hébreu dans les frontières de ses conquêtes d’avant 1967 et le CNP a autoproclamé l’État palestinien regroupant certains territoires arabes (Jérusalem Est, Gaza et la Cisjordanie) (6).
La résistance palestinienne ne pouvait gagner une guerre conventionnelle contre l’ennemi israélien. La résistance ne pouvait que maintenir la pression sur l’occupant, s’assurer de son insécurité permanente dans les villes occupées et dans les colonies de peuplement, et attendre patiemment que le temps joue en sa faveur. Ce n’est pas un hasard si la thématique favorite de la propagande sioniste à cette époque portait sur la sécurité de l’état hébreu. L’insécurité provoquée par la résistance était la voie de la libération du territoire palestinien. La démographie galopante du peuple palestinien jouait également en faveur de ce peuple prolifique. L’éclatement des contradictions internes de la société israélienne, l’une des sociétés les plus inégalitaires au monde jouait aussi en faveur de la résistance. Le temps également que le Proche-Orient perde de son importance stratégique aux yeux du comploteur américain avide de pétrole, une ressource non renouvelable. Le temps que la crise économique mondiale érode les capacités financières du soutien américain. Le temps que plusieurs régimes arabes corrompus s’écroulent et mettent fin à leur collaboration honteuse avec l’ennemi sioniste.
La situation militaire des Palestiniens sur le terrain interdisait toute négociation de « paix » victorieuse à Oslo. Compte tenu du rapport de force de la résistance vis-à-vis l’armée d’occupation de telles négociations, sous l’égide des États-Unis, véritable caïd responsable de cette confrontation, ne pouvaient être que des négociations de capitulation, ce qu’elles furent.
À Oslo, l’OLP s’engagea à faire ce que l’armée israélienne et le Mossad ne parvenaient pas à réaliser ; traquer les résistants dissimulés parmi la population palestinienne, les identifier, les arrêter, les emprisonner, les torturer puis les exécuter. Seuls les multiples services de sécurité dirigés par l’Autorité palestinienne fraîchement constituée, possédant une maîtrise suffisante du terrain et une connaissance approfondie de la population, pouvaient espérer écraser la résistance populaire, ce qu’ils n’ont pourtant pas réussi à faire.
À Oslo, contre l’engagement de décapiter la résistance, l’Autorité palestinienne obtint le privilège d’administrer sous protectorat israélien la « zone d’occupation A », environ 18 % de la Palestine mandataire (six villes arabes ainsi que Gaza) et la promesse que d’autres négociations inégales lui apporteraient plus tard l’État palestinien dont rêvait Arafat (7). En 2001, huit ans après la capitulation d’Oslo, Ariel Sharon prit le pouvoir en Israël. Il considérait que l’état hébreu avait trop cédé aux Palestiniens et qu’il y avait encore moyen de leur arracher d’autres territoires. Yasser Arafat était aux abois, la résistance se réorganisait en dehors de l’OLP, la population palestinienne était mécontente des résultats d’Oslo. Ariel Sharon, contre l’avis de ses maîtres américains lança une grande offensive, détruisit le port de Gaza, l’aéroport de Gaza ainsi que les infrastructures érigées et payées par l’Union européenne en faveur de l’Autorité sans autorité. Les négociations subséquentes n’eurent jamais lieu et l’état dont rêvait Arafat ne survint jamais.
Le peuple palestinien en est là aujourd’hui alors que les Américains souhaitent relancer le processus de négociation – capitulation – directe entre l’Autorité et l’état sioniste d’occupation.
Depuis Oslo
Qu’est-ce qui a changé depuis Oslo ? Depuis les accords d’Oslo, la résistance s’est réorganisée en dehors de l’Autorité, sous l’égide du Hamas et d’une dizaine d’organisations patriotiques, loin des yeux et des oreilles des collaborateurs. La résistance palestinienne refuse de reconnaître les soi-disant « accords » frauduleux signés par la direction de l’OLP sans référendum de l’ensemble du peuple palestinien. L’Autorité palestinienne, structure de gestion administrative de quelques villes palestiniennes emmurées, est tombée en 2006 sous la gouverne du Hamas et de la résistance lors d’élection démocratique imprévisible que l’occupant sioniste et quelques pays occidentaux s’empressèrent de répudier. Depuis lors, l’occupation s’est intensifiée, les checkpoints se sont multipliés, le nombre de prisonniers palestiniens s’est accru, les deux murs entourant les camps de concentration ont été renforcés autour de la Cisjordanie et autour de Gaza sous blocus. Le nettoyage ethnique et l’expulsion des Arabes de Jérusalem s’accélèrent. La colonisation ne connaît pas de répit et quoiqu’en disent Netanyahu et Liberman il n’y a jamais eu de moratoire sur la colonisation ni sur la construction de logements.
La situation militaire de la partie palestinienne s’est-elle améliorée au point où la résistance puisse espérer mener un assaut victorieux contre la citadelle sioniste dans l’ensemble de la Palestine occupée, y compris dans le territoire annexé en 1948 par l’entité sioniste (8) ? Évidemment non !
Le rapport de force entre l’entité sioniste et la résistance palestinienne s’est détérioré depuis Oslo, mais il n’est pas désespéré. La résistance s’est retranchée à Gaza où elle a su conserver le pouvoir contre le coup d’état mené par la présidence de l’Autorité en 2007. En Cisjordanie, la présidence de l’Autorité palestinienne a réussi grâce au soutien israélien à s’emparer du pouvoir à la faveur de ce coup d’État. Une trentaine de députés du Hamas ont alors été emprisonnés par Israël sur demande de l’Autorité palestinienne et des dizaines de patriotes palestiniens ont été exécutés. La résistance a dû prendre la clandestinité d’où elle se réorganise.
Fait très important, l’armée israélienne a été battue à deux reprises par la résistance libanaise en 2000 et en 2006. La situation économique se détériore en Israël. Le tuteur américain a de moins en moins les moyens financiers de ses ambitions proche-orientales. Le camp de la résistance Iran-Syrie-Turquie-Liban s’élargit et se renforce pendant que le camp impérialiste s’épuise (9). L’ennemi sioniste en est rendu à déplacer la population bédouine du Négev, de peur de perdre la majorité ethnique et raciale dans certaines zones du territoire qu’il occupe (10).
Pour le moment, Israël ne peut pas perdre une guerre conventionnelle, mais il ne peut pas non plus écraser la guérilla urbaine ni extirper la résistance. L’état-major israélien souhaite donc que les négociations reprennent avec le président Abbas, avant qu’il ne soit remplacé, afin de conclure un accord d’occupation qui entérinerait les faits accomplis sur le terrain et permettrait à Israël d’exhiber la signature d’une personnalité palestinienne au bas d’un acte de capitulation comprenant le renoncement au droit de retour pour les palestiniens de la NAQBA.
Les propositions israéliennes lors des négociations à venir
Pour connaître ce que seront les propositions israéliennes lors de ces prétendues négociations de « paix » souhaitées par la partie américaine, par la partie israélienne, par l’OLP et par l’exécutif de la Ligue arabe, il est utile de visionner un document vidéo de Hasbara (11) visant à préparer l’opinion publique israélienne à de grands sacrifices, à renoncer à l’hégémonie sur une partie du grand Israël, la terre que Dieu aurait promise au peuple élu (12) (http://www.youtube.com/watch?v=ytWmPqY8TE0). Que présente cette vidéo de l’armée israélienne ? Elle explique que l’état hébreu est un vaste camp militaire retranché au milieu de peuples arabes et musulmans hostiles. Elle explique que cette situation de camp militaire encerclé par des peuples opprimés et spoliés exige que la question des frontières, en fait, la question des limites de la base militaire, soit traitée non pas comme on le ferait pour n’importe quelle autre frontière étatique normale, c’est-à-dire en fonction du territoire déjà sous contrôle et sous juridiction de chacun des états ou groupes humains qui se disputent ce territoire. Sur quel territoire leur juridiction s’applique-t-elle et depuis combien de temps ? Quel est le sentiment d’appartenance et de vouloir-vivre collectif de la population vivant sur telle portion de ce territoire et sur telle autre portion contestée ? Quels sont les droits reconnus internationalement sur telle portion ou telle autre portion du territoire disputé ? Quelle est l’histoire de la population vivant sur ce territoire et depuis combien de temps y vit-elle ? Voilà les questions que l’on se pose habituellement pour discuter de l’édification d’un état et de l’établissement de ses frontières politiques.
Ce n’est pas du tout ce que présente cette vidéo de hasbara (propagande) de l’armée israélienne. On y explique que l’état bantoustan palestinien en devenir devra être placé sous protectorat israélien, sans armée, sans arme, sans aviation, sans espace aérien national, sans port, sans zone côtière nationale, sans flotte et en plus on suggère que la vallée du Jourdain, séparant la Jordanie du bantoustan à venir, devra demeurer sous juridiction israélienne pour des raisons de sécurité. Évidemment, pour assurer la majorité raciale et ethnique « juive » sur le territoire annexé par l’entité sioniste le droit de retour de la population arabe autochtone ne pourra jamais être garantie. Ce serait se suicider en tant qu’état « racial » « juif » que de permettre qu’une majorité arabe vienne reprendre sa terre expropriée (13).
Négocier ou ne pas négocier avec l’ennemi israélien ?
La partie palestinienne devrait-elle engager des « négociations directes » avec la partie israélienne dans une telle conjoncture ? Oui, si pour la partie palestinienne l’objectif ultime de la lutte de libération nationale est d’administrer un bantoustan renfermant quelques villes emmurées sous protectorat israélien. Non, si l’objectif de la lutte de libération nationale du peuple palestinien est de libérer l’ensemble du territoire national usurpé en 1948, lors de la Nakba, puis occupé, colonisé, exproprié et exploité depuis 62 ans.
Le peuple palestinien doit rejeter ces négociations de capitulation, s’accrocher à sa terre, durer, résister farouchement par tous les moyens pacifiques et non pacifiques, ne rien céder, ne rien signer et laisser le temps travailler en sa faveur. Dans cinquante ans bien des choses auront changé dans la géostratégie mondiale et de meilleurs cieux s’ouvriront pour ce peuple résistant dans la mesure où il n’aura jamais renoncé à aucun de ses droits légitimes.
Notes/références
(1) http://www.alterinfo.net/notes/La-reprise-des-pourparlers-directs-une-couverture-pour-les-crimes-israeliens-Hamas_b2297682.html
« Le Hamas appelle l’Autorité palestinienne à ne pas reprendre de pourparlers directs avec Israël », http://www.aloufok.net/spip.php?article2229
« La Syrie a critiqué la reprise des négociations entre Israël et les Palestiniens ».
http://www.almanar.com.lb/newssite/NewsDetails.aspx?id=151238&language=fr
(2) http://www.almanar.com.lb/newssite/NewsDetails.aspx?id=151241&language=fr
(3) « Netanyahu et Abbas approuvent la relance de pourparlers directs ». http://www.aloufok.net/spip.php?article2341
« Négociations directes, les palestiniens font des progrès. ».
(4) http://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_du_Vi%C3%AAt_Nam
(5) http://fr.wikipedia.org/wiki/Palestine_(%C3%89tat_revendiqu%C3%A9)
(6) http://www.monde-diplomatique.fr/cahier/proche-orient/territoires-olp
(7) Le 28 septembre 1995, Israël et l’OLP signent à Washington l’Accord intérimaire sur la Cisjordanie et la Bande de Gaza, négocié à Taba (parfois appelé « Oslo II ») étendant l’autonomie en Cisjordanie et prévoyant une série de retraits israéliens par étapes. Fin 1995, Israël se retire de six villes de Cisjordanie qui deviennent autonomes[1]. Environ 95 pays dans le monde reconnaissent l’État palestinien. http://fr.wikipedia.org/wiki/Palestine_(%C3%89tat_revendiqu%C3%A9)#Les_ann.C3.A9es_2000 Zone d’occupation A : http://fr.wikipedia.org/wiki/Territoires_palestiniens_occup%C3%A9s
(8) « Les 10 grands médias mensonges d’Israël ». Michel Colon. http://www.youtube.com/watch?v=vv_xCE3oBRE&feature=related
(9) Thierry Meyssan. « Quelle place pour la Russie au Proche-Orient ». http://www.voltairenet.org/article165795.html#article165795
(10) Destruction le 10 août 2010 de 40 villages Bédouins du Négev. Construction du Mur de la honte et expropriation de terres palestiniennes. Construction de colonies sionistes sur les hauteurs de Cisjordanie. Expulsion de Palestiniens de Jérusalem-Est.
(11) Hasbara signifie information, communication, propagande en hébreu. http://fr.wikipedia.org/wiki/Hasbara
(12) « Aperçu de la paranoïa israélienne. ».
Gilad Atzmon 11 août 2010. Traduit par Marcel Charbonnier
http://www.gilad.co.uk/writings/gilad-atzmon-a-glimpse-into-israeli-paranoia.html
Visionnez ce vidéo qui résume les positions israéliennes.
http://www.youtube.com/watch?v=ytWmPqY8TE0
(13) « En Israël le racisme est confirmé par la justice » http://libertesinternets.wordpress.com/2010/08/03/en-israel-le-racisme-est-confirme-par-la-justice/
Robert Bibeau
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