L’Otan pousse l’armée ukrainienne à accélérer son offensive

Analyses:

Un grand scandale a éclaté dans les relations entre l’Otan et l’Ukraine. Depuis deux jours, les officiels ukrainiens critiquent la déclaration de Stian Jenssen, chef de cabinet du secrétaire général de l’Otan. Il a suggéré que le conflit russo-ukrainien pourrait se terminer par une sorte d’échange: la Russie garderait certains nouveaux territoires, tandis que l’Ukraine rejoindrait l’Otan.

La confusion à Kiev provient du fait que la direction de l’Otan, y compris son secrétaire général Jens Stoltenberg, ne s’est pas distanciée de la déclaration de Stian Jenssen. Cependant, cela ne témoigne pas forcément un accord imminent avec la Russie, mais plutôt de la frustration de l’Otan quant à la vitesse de la contre-offensive ukrainienne.

Mercredi, plusieurs interviews ont été accordées aux médias occidentaux par le chef du bureau du président ukrainien, Mykhaïlo Podoliak, le principal porte-parole de Volodymyr Zelensky, exprimant la position du leadership ukrainien sur tous les aspects des hostilités. Selon lui, Kiev est troublé par la déclaration de Jenssen et ne pense pas que le responsable de l’Otan exprime uniquement son point de vue. Comme l’a dit Podoliak, « cela a été certainement convenu en haut ». Cependant, l’idée d’échanger l’adhésion à l’Otan contre un renoncement aux territoires est catégoriquement condamnée par le conseiller de Zelensky. C’est, selon lui, un « scénario manifestement utopique ». Podoliak est convaincu qu’une telle fin aux hostilités serait perçue par les autorités russes comme leur victoire non seulement sur l’Ukraine, mais aussi sur l’Occident. La Russie deviendrait « encore plus militarisée » et un nouveau conflit militaire s’en suivrait. Échanger des territoires contre une « protection de l’Otan » est, pour lui, une « défaite de la démocratie ». En bref, la réaction des autorités ukrainiennes à la déclaration de Jenssen a été extrêmement négative.

Cependant, ce qui est surprenant dans cette histoire de révélation de l’officiel de l’Otan, ce n’est pas tant la réaction ukrainienne (qui était prévisible) que l’absence réelle de réaction de la part de la direction de l’Otan.

Stian Jenssen s’est exprimé mardi dans la ville norvégienne d’Arendal, lors d’une discussion sur les questions de politique étrangère. En réponse à une question de clarification du journal norvégien Verdens Gang, il a déclaré que des discussions sur le futur statut de l’Ukraine après la fin des hostilités étaient en cours au sein de l’Otan, et l’idée d’un renoncement de l’Ukraine à certains territoires y était abordée. C’est la première fois qu’un officiel de si haut rang de l’Alliance évoque le fait que l’Occident discute sérieusement de la paix dans le contexte de la reconnaissance, sous une forme ou une autre, des nouvelles frontières de la Russie.

À première vue, on pourrait s’attendre à des clarifications, en premier lieu, du patron direct et compatriote de Stian Jenssen – Jens Stoltenberg, d’autant plus que le chef de cabinet est considéré comme son protégé. Cependant, il est resté silencieux toute la journée de mercredi. Ce n’est que dans la nuit de mardi à mercredi qu’un représentant anonyme de l’Otan a informé la presse que « la position de l’Alliance est claire et n’a pas changé ». Elle stipule que « nous continuerons à soutenir l’Ukraine aussi longtemps que nécessaire, et nous sommes déterminés à parvenir à une paix juste et durable ». Ces paroles correspondent pleinement à la position de Podoliak, qui estime que le « scénario utopique » de Jenssen n’est pas le sien.

Il est difficile à croire que la déclaration du chef de cabinet du secrétaire général de l’Otan n’a pas été coordonnée avec le principal acteur de l’Alliance – les États-Unis. Pourtant, le secrétaire d’État américain Antony Blinken, qui a donné une conférence de presse le 15 août, n’a rien dit ni sur un éventuel échange de l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan et des concessions territoriales de sa part ni sur un éventuel accord avec la Russie. La Maison Blanche n’a pas non plus commenté la déclaration de Jenssen.

Bien sûr, il ne faut pas sortir les propos du chef de cabinet de l’Otan de leur contexte. Lors de la discussion à Arendal, Jenssen a rappelé les affirmations de Stoltenberg: seule l’Ukraine devrait décider quand et à quelles conditions négocier la paix avec la Russie. De plus, Jenssen a décrit sa vision de la situation dans la zone de conflit. Selon lui, il « semble irréaliste » que la Russie puisse annexer de nouveaux territoires, et donc « il est maintenant question de ce que l’Ukraine pourra récupérer ». Cela ressemble beaucoup à un appel de Kiev à accélérer sa contre-offensive, par le rythme de laquelle l’Occident n’est clairement pas satisfait.

À cet égard, on se souvient de ce que le président tchèque Petr Pavel a déclaré à Vilnius lors du sommet de l’Otan en juillet. Selon ses propos, d’ici la fin de l’année, la « fenêtre d’opportunité » se fermera pour l’Ukraine, à la fois en raison des élections à venir en 2024 dans plusieurs pays, et parce qu’il devient de plus en plus difficile pour ses alliés européens et américains de fournir des armes à l’armée ukrainienne au rythme actuel. « Quoi qu’il soit accompli d’ici la fin de cette année, cela servira de base aux négociations », a déclaréPetr Pavel, faisant référence aux négociations avec la Russie.

À noter également une autre coïncidence intéressante: mercredi, le gouvernement de l’Allemagne, l’un des principaux pays de l’Otan en matière militaire, a renoncé au plan précédemment annoncé par le chancelier Olaf Scholz d’investir plus de 2% du PIB dans la défense chaque année. C’est ce que rapporte Reuters, citant ses sources. Cela signifie que l’Allemagne ne mise pas sur une longue durée du conflit russo-ukrainien.

Alexandre Lemoine



Articles Par : Alexandre Lemoine

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