Les dettes coloniales du Cameroun

Photo : Au Cameroun alors colonisé par l’Allemagne (1914-1915 ; CC – Wikimedia)
Lors de son accession à l’indépendance, le Cameroun, bien que nouvelle nation, est d’ores et déjà redevable d’engagements financiers, certains étant même à l’initiative de la puissance colonisatrice, à savoir la France. Bien que ces dettes originelles n’apparaissent pas comme fondamentales dans la crise des années 80, leur légitimité n’en est pas moins contestable.
La fin de la domination française et anglaise au Cameroun, via l’autonomisation puis l’indépendance effective, ne permit nullement de mettre un terme ni à la présence de ces puissances, ni à leur influence sur la nouvelle république. Parmi les nombreux facteurs permettant par exemple à la France de garder sa mainmise sur le Cameroun, nous pouvons citer les fameux accords dits de « coopération » dont le contenu a longtemps été classé secret défense.
Le point sur lequel le présent article va se focaliser est celui du maintien du lien économique entre l’ex-puissance colonisatrice et le Cameroun indépendant que rien ne justifie, et par lequel la France devint le premier créancier du Cameroun indépendant… bien avant même son indépendance. Car il s’agit de montrer comment un pays alors partie intégrante des territoires d’outre-mer, administré par la métropole dans son propre intérêt, s’est trouvé redevable pour des engagements financiers librement consentis par sa tutelle. Des dettes odieuses que nous dénonçons vivement.
Les dettes du Cameroun
La première dette imputée au futur État du Cameroun connue date de 1931. L’autorité coloniale souscrivit alors un prêt garanti par la France pour le développement des infrastructures des villes de Douala et Kribi. Cependant, les interventions de la puissance coloniales étaient encore faibles et il a fallu attendre la période d’après-guerre, de 1946 à 1958, pour voir la métropole alors en pleine reconstruction s’impliquer davantage sur le territoire camerounais.
En effet, à partir de 1946, la France mit en place des structures financières dont la mission officielle était de contribuer au développement de ses colonies et territoires d’outre-mer. Une des conséquences immédiates de « la loi sur le développement et la modernisation de ses territoires » votée le 30 avril 1946 fut la création du Fonds d’Investissement pour le Développement Économique et Social (FIDES) qui avait pour objectif principal d’inclure les territoires sous sa tutelle dans son financement du développement. C’est à ce titre que tout au long de cette période, le FIDES a été l’instrument financier subventionnant les grands projets agricoles, sociaux et surtout d’infrastructures sur le territoire camerounais.
Le Cameroun a ainsi reçu de la part de la métropole via le FIDES, des fonds évalués à plusieurs dizaines de millions de Francs Français pour le financement de son plan d’aménagement du territoire et d’investissement dans le secteur des infrastructures. C’est dans le cadre de ce plan qu’en 1952, l’administration coloniale souscrivit le second prêt connu pour financer l’entreprise « Energie du Cameroun » (EDC) pour un montant de 14 788 500 de francs métropolitains, puis en 1953 pour la construction du barrage d’Edéa II, pour un montant de 14 millions de francs métropolitains, soit 700 millions de FCFA (Taux de change de 1FF= 50 Fcfa). A ces financements s’ajoutèrent d’une part les avances de la Caisse Centrale de la France d’Outre-Mer (CCFOM) à la charge du territoire d’un montant évalué globalement à 9 373 180 000 francs CFA en 1954 remboursables sur 25 ans aux taux de 2%, et d’autre part les 366 375 000 FCFA de la tranche des avances FIDES pour les années 1956-1957. Soit un total de 9 739 555 000 FCFA.
Le 6 août 1958, un nouveau prêt fut accordé au Cameroun, dans le cadre de la réforme institutionnelle mettant fin, tout du moins sur le principe, à la tutelle française. Ce prêt au doux nom de « augmentation du capital crédit du Cameroun » et qui portait sur un montant de 75 millions de francs métropolitains, soit 3,75 milliards de FCFA, représentait alors à lui seul plus de 4% du PIB camerounais.
Pour mieux se représenter l’importance de ces différents financements par rapport à l’économie camerounaise d’alors, ils représentaient plus de 10% du PIB de 1959 qui était estimé à environ 99 milliards de FCFA.
Le vrai problème qui se pose est celui du remboursement des différentes créances. Théoriquement, tous les investissements coloniaux français réalisés sur la base des priorités définies par le FIDES sans aucune consultation locale, devaient être considérés comme une compensation pour l’indépendance. Tel n’a malheureusement pas été le cas. Au contraire, la charge de tous ces prêts fut rétrocédée au Cameroun alors que les camerounais eux-mêmes ne disposaient d’aucun moyen de faire valoir leurs opinions quant aux différents projets français.
En effet, dans le cadre de la négociation entre la France puissance tutélaire et la future République du Cameroun d’une part, et face à la pression grandissante de la dynamique de décolonisation et à l’opposition farouche contre la tutelle française d’autre part, de nombreuses dispositions furent prises à l’instar des fameux accords dits de « coopération » pour sécuriser ces financements et garantir les intérêts de la France au Cameroun.
Le tableau ci-dessous reprend quelques-uns des prêts « contractés » par le Cameroun auprès de la France avant son accession à l’indépendance.
Tableau : Quelques prêts contractés avant l’indépendance du Cameroun
[1]
Compte tenu de tout ce qui précède, il est clair que les prêts contractés avant le 1er Janvier 1960 ne sont pas le fait d’un état souverain et par des instances agréées. Le Cameroun étant dirigé par le gouverneur de France, seul décideur assermenté. Ils n’ont donc pas servi le peuple camerounais en premier lieu, mais plutôt les intérêts de la métropole coloniale.
Ainsi donc, les prêts contractés dans un territoire encore sous domination française et britannique, ne sauraient par conséquent être légitimés au nom du peuple camerounais. Et même si l’impact desdits prêts semble minime au vu du développement industriel du Cameroun post-indépendant, ces dettes ne se justifient pas moralement n’auraient pas dû être remboursées.
Jean-Marc Bikoko
Notes :
[1] CS-DRMS : Commonwealth Secretariat Debt Recording and Management System