Le think tank ECFR annonce la future orientation de la politique de l’EU pour l’Ukraine

Analyses:

Derrière l’apparence d’unité entre l’UE et l’Ukraine se cache un fossé majeur sur la façon dont ce conflit devrait se terminer et sur l’emploi du soutien allié pour Kiev. Tandis que les Ukrainiens pensent qu’ils devraient devenir membres de l’UE et de l’OTAN pour marquer leur victoire, la plupart des Européens y voient un élément d’un règlement. Alors que les Ukrainiens souhaitent davantage d’armes et de munitions pour les aider à gagner la guerre, la plupart des Européens veulent donner à l’Ukraine des armes et des munitions afin d’améliorer la situation de Kiev concernant sa position dans des négociations pour mettre fin au conflit.

Le quotidien allemand Rheinische Post laisse tendre à penser que la politique de Bruxelles vis-à-vis de la Russie après les récentes élections au Parlement européen et la constitution du nouvel hémicycle sans oublier la mise en place de la nouvelle direction de l’UE, sera basée sur le rapport du Conseil européen des affaires étrangères (ECFR), intitulé The meaning of sovereignty: Ukrainian and European views of Russia’s war on Ukraine (La signification de la souveraineté: vues ukrainiennes et européennes sur le conflit entre la Russie et l’Ukraine). L’ECFR, créé en 2007, est devenu un groupe de réflexion politique européen dont le siège se trouve dans les principales capitales, dont Paris.

Le rapport a été préparé sur la base d’enquêtes menées dans 15 pays européens, dont l’Ukraine et le Royaume-Uni. Quelles conclusions les auteurs du rapport proposent-ils aux hommes politiques européens?

Le préambule de l’étude note que le premier semestre 2024 est devenu une période difficile pour l’Ukraine et ses alliés occidentaux. Aux États-Unis, un programme de soutien à Kiev a été abandonné au Congrès ce qui a entraîné une pénurie de munitions au front et, par conséquent, un changement de situation en faveur de Moscou. Cela a, notamment, permis à la Russie de détruire la moitié de la capacité de production d’électricité du pays. Les perspectives pour l’hiver prochain semblent donc déprimantes à cet égard.

Dans les pays de l’UE, le virage à droite lors des élections au Parlement européen a renforcé les positions de certains partis amis du président russe Vladimir Poutine. Parmi eux se trouve le Rassemblement national (RN) en France. Pour couronner le tout, la Chine et de nombreux pays leaders du Sud ont boycotté le sommet de juin sur l’Ukraine en Suisse, démontrant les limites des efforts occidentaux pour isoler la Russie.

Et, l’incertitude quant à l’issue des élections présidentielles américaines et la possibilité d’un retour au pouvoir de Donald Trump aggravent la situation avec le soutien occidental à l’Ukraine.

Le rapport fait état d’une grave division entre l’Europe et l’Ukraine sur la façon dont le conflit avec la Russie devrait se terminer et sur le montant du soutien de ses alliés à Kiev. Alors que les Ukrainiens veulent davantage d’armes et de munitions pour gagner le conflit, les Européens ont l’intention de fournir des armes pour donner à Kiev une meilleure position dans les futures négociations de paix. Et, si les Ukrainiens estiment que l’adhésion à l’UE et à l’OTAN devrait être une récompense pour leur victoire, en Europe, ils considèrent cela comme faisant partie d’un futur processus de traité.

L’écrasante majorité des Européens interrogés (plus de 60%) estiment qu’il est souhaitable de poursuivre l’approvisionnement en armes et munitions à Kiev. Certes, dans trois pays de l’UE –la Bulgarie, la Grèce et l’Italie– nombreux sont ceux qui s’opposent à l’augmentation des fournitures militaires à l’Ukraine.

Dans le même temps, la plupart des Européens s’opposent à l’augmentation des budgets militaires de leur pays dans le soi-disant but de contrer une éventuelle «attaque russe». D’ailleurs, une minorité de citoyens interrogés dans les pays de l’UE croient à une telle démarche de la part de Moscou.

La réticence à s’impliquer dans un conflit total avec la Russie est notamment mise en évidence par les résultats d’une enquête sur la nécessité d’envoyer des troupes de l’OTAN en Ukraine. La grande majorité des Européens s’y opposent, et en Allemagne même, cela concerne plus de 80% des personnes interrogées. Mais, en même temps, les Européens ne s’opposent pas à la formation militaire des soldats ukrainiens.

Les citoyens des pays de l’UE (à l’exception des Estoniens qui croient en la victoire de Kiev) estiment que le conflit se terminera par un règlement de compromis. Et, même en cas de forte augmentation des approvisionnements en armes et munitions, 11 pays européens sur 15 comptent sur un compromis.

La conclusion de tout ce qui précède signifie que l’UE, sous la nouvelle direction, poursuivra très probablement sa politique de soutien à Kiev en matière d’approvisionnement en armes. Mais, elle évitera d’impliquer ses propres forces armées dans le conflit.

D’un autre côté, les pays de l’UE s’efforceront d’établir un dialogue entre les parties en conflit et de les amener à la table des négociations, même si les négociations, elles-mêmes, seront complexes, étant donné que la majorité des Ukrainiens interrogés ne sont pas prêts à accepter des pertes territoriales. Quoi qu’il en soit, ce rapport révèle les limites des efforts de l’Occident pour isoler la Russie et l’impuissance pour Volodymyr Zelensky de pouvoir obtenir ce qu’il veut des États-Unis et de l’UE.

Philippe Rosenthal



Articles Par : Philippe Rosenthal

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