Le changement de régime au Brésil est officiel… « Coup d’état moderne » à la brésilienne ou à la Wall Street

Ceci est « un coup d’État avec l’apparence d’un processus légal. » Dilma Rousseff
Le dernier jugement pour Dilma s’est terminé aujourd’hui par un vote au Sénat en faveur de l’impeachment, soit sa destitution comme présidente du Brésil. Le verdict final : 61 Pour et 20 Contre. La présidente n’est pas accusée de corruption, mais de crime de responsabilités fiscales. Les sénateurs ayant voté en faveur de la destitution n’étaient pas tous convaincus qu’il y avait eu « crime de responsabilités »… Par exemple, le sénateur Acir Gurgacz (PDT) s’est clairement exprimé publiquement sur la question : « Nous avons la conviction qu’il n’y a pas eu de crime de responsabilité, mais un manque de gouvernance. » (« Temos a convicção de que não há crime de responsabilidade, mas falta governabilidade. »).
En avril dernier Dilma Rousseff du Parti des Travailleurs (PT) avait été officiellement démise de ces fonctions de présidente du pays. Le processus de destitution s’était amorcé le 21 avril après un vote à la Chambre des députés (367 avaient voté pour la destitution contre 137, 7 abstentions et deux absents). Des membres du gouvernement et du PT avaient remis en question la démocratie du vote alors que 20 députés qui se disaient contre la destitution ont changé d’avis à la dernière minute en votant pour. Ce vote des députés avait conduit le Sénat à mettre en accusation la présidente coupable de « crime de responsabilité » se référant au fait qu’elle aurait maquillé les comptes publics.
Les tours de passe-passe budgétaires qui lui sont reprochés « ont été pratiqués par tous les présidents avant moi et ont été considérés légaux. On me réserve un traitement qui n’a été réservé à personne »
« Il ne pèse sur moi aucune accusation d’enrichissement illicite. Moi, je n’ai pas de comptes à l’étranger »
Dilma Rousseff, s’adressant au président du Congrès des députés Edaurdo Cunha, inculpé de corruption dans le scandale Petrobras et qui avait permis d’amorcer la procédure de destitution. (20 minutes)
Cela ressemble à un coup d’État « maquillé » …
Le lendemain du vote des députés en avril 2016, Otaviano Canuto, le représentant du FMI au Brésil accordait une entrevue au mégamédia Globo au sujet du changement de régime: ‘Haverá perdas nos avanços sociais’ (Il y aura un recul des avancées sociales.) a-t-il précisé.
Coup détat de « l’oligarchie financière internationale »
On assiste à une nouvelle donne qui légitime le processus antidémocratique pour légaliser en quelque sorte un « coup d’état moderne à la brésilienne » ou à la « Wall Street ».
Michel Temer (vice-président du gouvernement de Dilma) devient ainsi le nouveau président du Brésil par intérim et il demeurera au pouvoir jusqu’aux élections de 2018. Par ailleurs il est impliqué directement dans l’affaire de corruption Petrobras Lava Jeito. Au début mai, le tribunal supérieur électoral de Sao Paulo l’a condamné pour le dépassement de ses dépenses de campagne en 2014. Mais rien n’indique aujourd’hui qu’il ne peut pas assumer la présidence. De plus le nouveau président aurait été informateur de la CIA d’après Wikileaks (Michel Temer fue informante de la CIA en 2006, asegura Wikileaks).
Ce n’est certes qu’une transition vers le changement de régime…
En mai dernier, Michel Temer annonça aux Brésiliens des «mesures difficiles» à venir (politiques d’ajustement structurel dictées par le FMI et les créanciers).
Ce « changement de régime » programé a déjà ainsi fait sa propre « révolution de couleur » par les nouvelles mesures du « président » par intérim.
Henrique Meirelles, un ex-président de la Banque centrale nommé par le premier gouvernement de Lula, est devenu le nouveau ministre de l’économie : « La priorité est désormais de maîtriser la dépense publique ». Ces mesures impopulaires (augmentation des impôts, réforme du système de retraite et loi du travail… abolition du ministère de la Culture…) auprès de la majorité de la population seraient « indispensables » . Autrement dit Monsieur Meirelles tente de convaincre les Brésiliens que des mesures d’ajustement structurel drastiques redresseraient l’économie. Tout laisse ainsi croire à un coup d’état économique de la junte financière de Wall Street selon l’économiste Michel Chossudovsky :
Le contrôle par Wall Street de la politique monétaire et de la réforme macro-économique était l’objectif ultime du coup d’Etat. Les nominations clé du point de vue de Wall Street sont la Banque centrale, qui domine la politique monétaire ainsi que les opérations de change, le ministère des Finances et la Banque du Brésil (Banco do Brasil).
Au nom de Wall Street et le «consensus de Washington», le “gouvernement” intérimaire post coup de Michel Temer a nommé un ancien PDG de Wall Street (avec la citoyenneté américaine) à la tête du ministère des Finances. (Michel Chossudovsky, Wall Street est derrière le coup d’état au Brésil, 5 juin 2016)
Un ex-économiste du Fonds monétaire international affirmait que le FMI allait sauver le Brésil une fois de plus !(juillet 2016) Rappelons que le premier gouvernement de Lula avait également opté pour les politiques d’austérité à la grande satisfaction du FMI et des grandes instances financières.
De son côté, Lula, ex-président du Brésil, est soupçonné d’avoir blanchi de l’argent en Suisse et d’avoir reçu des pots de vin de la pétrolière Petrobras. Cela serait-il vraiment plus grave que l’imposition de politiques néolibérales conduisant à l’abolition de la Banque centrale en 2003 (avec Meirelles, devenu aujourd’hui ministre des finances) ? La Banque centrale et le ministère des Finances étaient alors passés sous le contrôle de Wall Street.
Le FMI et la Banque mondiale ont complimenté Lula pour son engagement à respecter « les fondamentaux de l’économie ». Selon le FMI, le Brésil est sur la « bonne voie ».(…) De quel type d’« alternative » s’agit-il lorsqu’un gouvernement, qui s’engage auprès des citoyens à « combattre le néolibéralisme », devient un ardent défenseur du « libre marché » et de la « médecine économique forte »? Derrière la rhétorique populiste du gouvernement du président Lula, la politique néolibérale demeure intacte.
(Michel Chossudovsky, Brésil: Lula et “le néoliberalisme à visage humain”, 13 juillet 2003)
L’Amérique latine a été fortement ébranlée par des coups d’état militaires orchestrés par Washington réprimant les mouvements populaires en renversant des gouvernements qui mettaient en place des mesures sociales… Un vent de démocratisation durant la période post-militaire avait redonné espoir à certains pays d’Amérique latine en votant pour de nouveaux leaders politiques. Aujourd’hui les services de renseignement n’ont plus besoin de coup d’état militaire pour faire tomber les gouvernements. Tout se passe de façon « démocratique » ou légale (processus d’impeachment, opposition se voulant représentatif des classes moyennes, etc….) et par la « liberté d’expression » de réseaux sociaux, les « nouveaux justiciers », organisant en peu de temps des méga-manifestations, événements grandement exploités par les grands médias bien armés d’arguments pour déguiser les faits ou confondre les idées.
Pour terminer, il est important de souligner l’importance de l’économie pétrolière au Brésil. Une raison de plus pour l’oligarchie financière internationale de tenter de s’approprier les ressources du territoire.
Le Brésil est en passe de devenir l’un des premiers producteurs mondiaux de pétrole. Toutefois, l’enthousiasme suscité par la découverte de deux immenses champs pétroliers est tempéré par des difficultés d’accès et un coût d’extraction élevé. Pourtant, grâce à ces découvertes, le Brésil est désormais en bonne place dans la course mondiale à l’énergie. (observateur.com)
Des élections sont prévues pour 2018. « Brasil, pais do Futuro », « Brésil, pays de l’Avenir »… quel avenir attend le Brésil en 2018 ?
Micheline Ladouceur