La matrice coréenne

Le ministre de la défense à Séoul a proposé des discussions dans le village frontalier de Panmunjom, alors que la Croix-Rouge a proposé des débats séparés pour discuter des réunions de familles.
Le président de la Corée du Sud Moon Jae-in démontre ainsi qu’il s’est décidé – après son investiture du 10 mai et le test d’ICBM de Pyongyang le 3 juillet.
Pyongyang peut également être en faveur de discussions – comme il l’a déjà indiqué. Mais il peut y avoir des préconditions, par exemple la suspension des provocations annuelles représentées par les exercices militaires conjoints entre la Corée du Sud et les USA. Les USA vont dire non. Encore une fois, tout tourne autour de Washington.
Nous ne savons pas si les renseignements américains ont une preuve formelle selon laquelle Pyongyang, ICBM mis à part, est en passe de réussir d’autres percées technologiques, comme la production d’un système de guidage et d’une arme nucléaire miniaturisée, fonctionnelle et capable de survivre à la fois à un tir de lancement et à une ré-entrée dans l’atmosphère.
Sans plus attendre, quelques faits buts. Kim Jong-un sait parfaitement que les armes nucléaires sont essentielles à la survie de la dynastie Kim. Non seulement Pékin le sait aussi – mais de plus, il pense que Pyongyang ne voit pas exactement la Chine comme une alliée digne de confiance. Pendant la Guerre de Corée – dont le souvenir est ancré dans la conscience du Nord – la principale préoccupation de Mao était de préserver les frontières de la Chine, pas la sécurité de ses voisins.
Malgré tout, le secret de Polichinelle est qu’une Corée du Nord nucléaire peut représenter une force de dissuasion de long terme contre les USA, beaucoup plus qu’une menace – qui de toutes façons, ne s’exerce pas contre la Chine. Cela dessine le contour, cette fois encore, d’une affaire Washington-Pyongyang.
La marge de manoeuvre de Pékin contre Pyongyang est limitée – quelque chose que le président Trump et l’État profond des USA ne comprennent pas encore. Et la Corée du Nord n’est pas une priorité pour la sécurité nationale chinoise – sauf si le régime venait à s’effondrer et qu’un flot incontrôlable de réfugiés entraient en Chine.
La seule chose qui compte aux yeux des leaders chinois est – pardi – le commerce. Et, pour ce qui concerne le commerce entre la Chine et la Corée du Sud, le business est de toutes façons florissant.
Les spéculations enfiévrées sur une « frappe » contre Pyongyang sont oiseuses. Il suffit d’un minimum de connaissance de la Péninsule coréenne pour savoir que Pyongyang répliquerait en effaçant virtuellement Séoul de la carte. Sans même parler du fait que les renseignements américains n’ont pas la plus faible idée de la localisation des sites nucléaires et de développement de missiles nord-coréens, que Pyongyang a savamment dispersés.
Une « attaque » américaine pas trop ratée demanderait beaucoup d’agents des forces spéciales infiltrés, en d’autres termes de soldats sur le terrain, et n’offrirait aucune garantie de succès. En résumé : pour dire les choses de façon réaliste, Washington est incapable d’éliminer les programmes de missiles et nucléaire de la Corée du Nord.
La voie ferroviaire trans-coréenne fait son entrée
Donc, que faire ? La seule stratégie logique consisterait à admettre – tout comme avec le Pakistan et l’Inde à la fin des années 90 – que la Corée du Nord est une puissance nucléaire de facto.
La stratégie de Pyongyang, après tout, est une petite merveille ; vous donnez l’impression d’être totalement imprévisible, et vous terrifiez tout le monde tout en prévenant toute tentative de déstabilisation. Même s’ils prennent leurs rêves pour des réalités, par exemple quand ils estiment qu’une frappe chirurgicale pourrait paralyser les structures politique/militaire/de communication/de commandement nord-coréennes, les services de renseignements des USA sont totalement incapables de prédire les actions de Pyongyang.
Un source des renseignements occidentaux bien informée sur les enjeux élevés dans la Péninsule de Corée ajoute quelques observations ; « Le point dont personne ne parle est que la Corée du Sud est déjà à portée des bombes nucléaires nord-coréennes, même si les USA ne le sont pas, et qu’elle peut être liquidée par la Corée du Nord. Nous devons examiner la nature de notre alliance défensive avec la Corée du Sud. Est-ce qu’elle implique que nous pouvons, et que nous allons attaquer la Corée du Nord pour nous protéger, alors même que nous ne pouvons pas protéger la Corée du Sud ? Est-ce que nous allons déclencher sa destruction au nom de notre autodéfense ?
Le point est que, si la Corée du Sud est virtuellement détruite par la réponse de Pyongyang aux frappes américaines, « alors nos alliés du monde entier vont en retirer le sentiment négatif qu’eux aussi pourraient être sacrifiés, s’ils se trouvent sur notre chemin. D’après moi, ce serait la fin de toute la structure d’alliances des USA, qui de fait, est d’ores et déjà imaginaire. »
La source bien informée est convaincue que, « Les Sud-Coréens ont obligé les USA à renoncer à leur idée de frappe contre la Corée du Nord, parce qu’un soutien à ce type de frappe serait un suicide national pour la Corée du Sud. Les USA ne feront rien. »
Et tout ceci se produit juste au moment où Séoul veut faire de vraies affaires – ce qui veut dire la variante coréenne de la nouvelle Route de la soie emmenée par la Chine, et renommée Initiative Belt and Road. Séoul veut construire une voie ferroviaire trans-coréenne, et même aller au delà en se connectant avec le Transsibérien et, pardi, la nouvelle Route de la soie eurasienne. Ce qui, au fait, incarne le concept dénommé ‘Route de la soie de fer’, dont la Corée du Sud rêve depuis le sommet Asie-Europe (ASEM) de 2004.
Dépasser la division terrestre entre l’Asie et l’Europe en se connectant au vaste réseau trans-eurasien, signifie que la cinquième économie d’exportations du monde ferait encore plus d’affaires. Handicapée par l’isolement de la Corée du Nord, la Corée du Sud est de facto coupée de l’Eurasie. La réponse à tous ces problèmes ? La voie ferroviaire trans-coréenne. Si seulement le président Moon pouvait engager Kim Jong-un à se joindre à ce rêve de connectivité – et lui faire oublier ses joujoux nucléaires.
Article original en anglais : The Korean Matrix, Sputnik News, le 17 juillet 2017
Traduction Entelekheia
Photo Pixabay : Salle de conférence à la frontière de la Corée du Nord