La conception d’un nouveau missile stratégique posera de sérieux problèmes aux États-Unis

De nouveaux détails ont été révélés sur la conception aux États-Unis d’un missile stratégique capable d’embarquer une ogive nucléaire. On pourrait même dire que l’avenir de tout l’arsenal nucléaire des États-Unis est remis en question. Pourquoi cela est-il arrivé et à quels problèmes sera à présent confronté le Pentagone?
Le programme de modernisation des armements stratégiques promis plus tôt par les autorités américaines commence à prendre forme. L’armée de l’air des États-Unis a rendu publiques des informations sur un nouveau missile intercontinental, qui sera baptisé LGM-35A Sentinel. Ce programme est d’une importance cruciale pour les États-Unis.
L’état de l’armement stratégique américain est loin d’être parfait. Cela concerne les missiles obsolètes Minuteman actuellement en service et l’impossibilité de produire de nouvelles ogives nucléaires autrement qu’en recyclant des composants et des matériaux des anciennes. Sans compter une perte flagrante d’une partie des technologies nécessaires pour fabriquer des armées nucléaires, sans savoir comment les récupérer, les bombardiers stratégiques B-52 et les sous-marins stratégiques obsolètes et usés.
En mai 2022, cela fera exactement un an depuis l’échec des essais du missile intercontinental Minuteman, qui n’a pas réussi à quitter le silo de lancement. Les États-Unis ont annoncé son tir pour début mars 2022, mais ont ensuite annulé le lancement « pour éviter de créer des tensions dans les relations avec la Russie au vu de la crise actuelle en Ukraine ». Un argument étrange. En général, on fait une démonstration de force lors de tels conflits au lieu de la cacher. Au final, on ignore si les missiles américains décolleront sur ordre ou non. La plupart d’entre eux décolleront certainement et atteindront leur cible, mais on ignore leur nombre exact.
Là où l’état des forces nucléaires américaines est satisfaisant, c’est avec des missiles de sous-marins (Trident-II) et les délais raisonnables de la conception du bombardier B-21 Raider pour remplacer les actuels. Le reste de la triade nucléaire suscite des questions.
Une telle situation est inadmissible pour une hégémonie mondiale. C’est pourquoi le nouveau missile intercontinental est un projet prioritaire dans la modernisation de l’arsenal stratégique américain.
Ce projet s’appelait initialement Ground Based Strategic Deterrent (GBSD). Il a démarré en 2016 quand l’armée de l’air américaine a lancé un « appel d’offres ». Les développeurs du futur missile devaient présenter leurs propositions à l’armée de l’air à partir de ce document.
Un an plus tard, les compagnies Boeing et Northrop Grumman ont signé des contrats sur l’élaboration d’un nouveau missile de 349 millions de dollars et de 329 millions de dollars respectivement. C’était censé être seulement le début. La pratique américaine habituelle leur permettant de soutenir la concurrence parmi les producteurs sans avoir en service différents systèmes pour le même objectif est la suivante: les concurrents reçoivent de l’argent pour élaborer un armement en même temps en concevant des projets concurrents.
En 2020, ayant pris connaissance des élaborations du projet, l’armée de l’air américaine a signé avec Northrop un contrat sur la conception d’un nouveau missile. Ses indicateur et appellation ont été dévoilés deux ans plus tard. On sait déjà que les premières ogives des Sentinel seront des W87-0 de 300 kt d’équivalent TNT, et à partir de 2030 – des W87-1 de 475 tonnes.
Que sait-on exactement sur ce nouveau missile? Pour l’instant, seulement qu’il sera à combustible solide et embarquera une ogive avec des têtes à guidage individuel. Apparemment, le missile embarquera un large éventail de leurres et d’autres moyens pour percer la défense antiaérienne.
Les Américains parviendront-ils à concevoir leur nouvelle arme? Plutôt oui que non. Les États-Unis font partie des leaders dans le secteur balistique, l’élaboration de leur nouveau missile à moyenne portée Dark Eagle avait pris moins de dix ans. La même chose devrait se passer avec Sentinel.
Mais des retards sont possibles. Le rapport de l’an dernier du Government Accountability Office (GAO) sur la triade nucléaire affirmait que plusieurs technologies critiques pour la conception du nouveau missile n’existaient pas.
Les essais prévus pour 2023 marqueront une étape clé dans le développement de cette nouvelle arme. Si ces essais avaient effectivement lieu l’an prochain et étaient un succès, il faudrait alors avouer que tout se déroule comme prévu pour les Américains et que Sentinel arriverait en service à partir de 2029.
Mais ce n’est pas le missile qui est le principal problème des États-Unis. Ce sont les ogives. C’est là que se cache le talon d’Achille. Même pour le tout nouveau missile sont mentionnées des ogives élaborées dans les années 1980. Certes, ce seront des engins neufs avec des composants renouvelés et des matières fissiles purifiées. Sauf que ces matières seront extraites des anciennes ogives recyclées. Et tous les composants des nouvelles ogives ne seront pas fabriqués « à neuf ».
Pour le moment, les Américains ont encore beaucoup de questions sans réponse concernant l’avenir de leur arsenal nucléaire. Pourront-ils rétablir leurs compétences dans la production de nouvelles ogives élaborées « à partir de zéro »? Arriveront-ils à créer un nouveau sous-marin stratégique? Le missile intercontinental sera-t-il terminé à temps? Les anciens missiles resteront-ils opérationnels jusqu’à leur remplacement? Les prochaines années seront décisives pour les Américains.
Alexandre Lemoine