HAÏTI : Politique et Tauromachie
La Méthode Michel “Micky” Martelly (Les 4 M)

Article mis à jour le 10 février 2012
La politique haïtienne, en particulier avec les derniers soubresauts qui l’agitent depuis la prestation de serment du Président Martelly, me fait penser à la corrida. Dans les deux cas, il s’agit d’un spectacle, avec ses leurres, ses feintes, ses pièges et toujours une ou des victimes. Il y a cependant dans la corrida de nombreux moments d’élégance, trop rares dans notre pratique politique.
Néanmoins, l’analogie tient la route. Depuis maintenant plus de cinq mois, Michel Martelly avec l’aide de sa cuadrilla (entourage), multiplie provocations et tours de passe passe, équivalent des piques, des banderilles et de la muleta. Cette dernière est la pièce de tissu rouge, que le toréador agite sous le muffle du taureau, affaibli et rendu furieux par les piques et banderilles, pour l’amener à des charges futiles et ainsi l’épuiser pour la mise à mort (estocade).
Les cibles de prédilection du matador-président, ou ses taureaux si vous préférez, ont été le Parlement et la presse, mais les victimes finales seront la démocratie et la souveraineté nationale déjà agonisantes. Il faut bien admettre, que jusqu’à présent tous ou presque sont tombés dans le piège de la muleta: un scandale hebdomadaire en chassant un autre, les inquiétantes questions fondamentales repoussées dans les coulisses par des gestes spectaculaires mais sans réelles conséquences, dans un jeu de prestidigitation assez efficace. Derrière le drap rouge qu’agite le matador, le taureau n’aperçoit jamais l’épée; il ne la découvre qu”au moment d’être terrassé.
Il est vrai que Martelly est bien versé dans ce genre d’exercice, son alter ego Sweet Micky, a pendant 2 décennies subjugué un vaste public en multipliant propos et gestes obscènes, choquant ou amusant réprobateurs ou fanatiques, tout en masquant son réel objectif qui était de gagner beaucoup d’argent.
Le jeu de la “poule mouillée”
Dans toutes les sociétés, y compris animales, il existe un rituel de défis entre jeunes mâles, avec en général des règles du jeu, pour éviter des dommages irréparables.
Mais ici, nous faisons plus précisément référence, à ce que les jeunes Américains nomment “chicken” et qui consiste pour deux adolescents à lancer leurs véhicules l’un contre l’autre en tenant le milieu de la route. Le premier à éviter la catastrophique collision frontale, est jugé perdant. Il va sans dire que ce stupide exercice se termine souvent de façon tragique, jetant familles et amis dans le deuil.
Le jeu politique auquel nous sommes aujourd’hui forcés d’assister, ressemble à la corrida, mais également à celui de la “poule mouillée”. La testostérone y tient une place prépondérante; et on sait à quel point elle est mauvaise conseillère.
Le Président de la République est friand de ce jeu dangereux, il nous l’a maintes fois prouvé depuis sa prestation de serment, de “l’affaire Gousse”, à “l’affaire Bélizaire”, il nous convie à de multiples et inutiles défis. Or, il se trouve que l’enjeu n’est pas ici la vie de deux adolescents, mais la jeune et vacillante démocratie haïtienne et notre souveraineté au bord de l’asphyxie.
Alors, pour poser à l’envers l’inévitable question léniniste: « Que (ne pas) faire ? »
Le réflexe tout naturel est d’accepter le défi et de rendre coup pour coup. Mais il faut parfois se méfier des réflexes, il en est de salutaires, il en est également de catastrophiques, car le propre du réflexe est de contourner le cerveau. Ainsi, par exemple, du réflexe d’évitement de la douleur: si debout au bord d’un précipice quelqu’un se fait piquer les fesses, il lui serait fatal de bondir vers l’avant pour échapper à l’agression.
Aux acteurs politiques, à la société civile, aux directeurs d’opinion, aux citoyens enfin, je me permet de conseiller de refuser de relever les gants, systématiquement et irresponsablement jetés par un Chef d’État qui se croit encore en face de T-Vice.
Il ne s’agit pas de banaliser les gesticulations présidentielles, symptômes révélateurs de graves atteintes à la démocratie, mais il faut éviter de se laisser obséder par eux, jusqu’à se faire hypnotiser et ignorer la pernicieuse progression de la maladie. La fièvre est une manifestation de la malaria, et il est indispensable de la prendre en charge, mais pas au dépend du traitement de l’infestation qui la provoque.
Dans le cas contraire, nous allons, comme en 1915, nous enfoncer dans un histrionisme brutal et peut-être bientôt sanglant.
A quelques nuances près, on sait comment cela va finir: une occupation qui va durer et se durcir.
Revenons, en conclusion, au lancinant « Que faire ? »
La raison et le bon sens politique commandent que tout simplement, les hommes et partis politiques, la société civile organisée, la presse et chaque citoyen investissent le gros de leur vigilance et de leur énergie à relever les profonds défis auxquels notre nation est confrontée depuis des décennies. Je parle ici d’une vigilance active, qui ne se résume pas à la dénonciation, mais inclut la critique et les propositions alternatives.
Il s’agit en somme, de stopper les dérives autoritaires et démagogiques qui pointent déjà leur vilain nez, mais également d’infléchir la politique de l’Exécutif, vers une voie plus responsable et respectueuse de la démocratie. Car seuls des fous pourrait souhaiter ou contribuer à l’échec de ce nouveau régime; aussi douteuse que soit sa légétimité, maladroite ou suspecte sa gestion de la Chose Publique jusqu’ici.
Ci-après une très brève liste, non-ordonnée, des questions qui devraient retenir l’attention soutenue de tous les acteurs civiques et politiques:
A) La résolution de l’embroglio constitutionnel.
B) La correction du programme de scolarisation universelle, tout à la fois brouillon, opaque quand on considère le mécanisme du choix de ses bénéficiaires et la légalité de la collecte de fonds qui l’alimentent.
C) La mise en place d’un Service de Renseignement, dont la nécessité n’est pas contesté, et de nouvelles forces de sécurité, mais sans débat national, ni supervision par le Parlement.
D) La nomination illégale de Délégués, Vice-Délégués et Directeurs-Généraux.
E) La réintégration arbitraire au sein de la PNH ou l’incorporation dans un appareil sécuritaire parallèlle d’officiers préalablemnt éjectés de la Force Publique.
F) Les coûts et bénéfices pour la Nation des nombreux voyages effectués par le Chef de l’État et d’autres grand dignitaires. La question des per diem exige un examen minutieux.
G) Les allocations budgétaires à la Présidence, à l’Education et à la Santé pour ne citer que celles-là.
H) Les ressources humaines, matérielles et financières affectées au Parlement pour lui permettre de remplir efficacement ses obligations constitutionnelles.
I) La réparation nationale envers la paysannerie.
J) Les critères retenus pour l’accession aux logements sociaux, qu’ils soient construits avec les fonds publics, ceux des donateurs internationaux ou des ONG.
K) Le calendrier électoral, le CEP qui devra superviser ces inévitables consultations. Qui les financera et à quelles conditions.
L) Etc…