Frontex: les armes du conflit ukrainien menacent la stabilité de l’UE

Frontex, dans un rapport tout récent, constate que «si un conflit a lieu à la frontière orientale de la Pologne, l’Ukraine n’est toujours pas la principale source d’armes illégales entrant dans l’UE» et met en garde sur le fait que cette «situation pourrait changer lorsque les hostilités prendront fin en Ukraine et si les armes distribuées aux citoyens ukrainiens au début du conflit et celles pendant les hostilités sont revendues au marché noir. Tout cela reste -pour l’instant- une prévision et une analyse sur les menaces auxquelles l’UE pourrait être confrontée.

Le doute se pose sur la capacité de l’Ukraine à pouvoir stopper une telle évolution. Observateur Continental avait déjà – en été dernier – rapporté que les Etats-Unis n’étaient pas en mesure de contrôler leurs armes envoyées sur le terrain.

«En raison de la guerre en Ukraine, de grandes quantités d’armes, notamment de qualité militaire, y restent incontrôlées», avertit encore Frontex qui affirme qu’ «avec l’intensification de la prolifération des armes à feu, des explosifs et des munitions, de plus en plus d’armes à feu non enregistrées et du matériel militaire entreront probablement dans le marché illégal [marché noir]». Frontex, l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, qui soutient les États membres de l’UE et les pays associés à Schengen dans la gestion des frontières extérieures de l’UE et dans la lutte contre la criminalité transfrontalière analyse les menaces auxquelles l’UE peut être confrontée dans les années à venir. Le document cite, également, des exemples d’autres zones post-conflit et comment elles ont influencé le flux d’armes illégales en Europe après la fin des hostilités. Aussi, le scénario qui s’est produit sur d’autres zones de guerre peut, également, se produire après la cessation des opérations militaires sur le territoire ukrainien.

Selon Frontex, «les groupes criminels de la région ne se contenteront pas de s’armer, mais les passeurs en profiteront aussi très probablement de l’opportunité. La mesure dans laquelle ces armes sont passées en contrebande à travers les frontières dépendent de la durée du conflit et de la situation générale en matière de sécurité en Ukraine, de la demande locale pour de tels équipements, ainsi que les mesures de contrôle aux frontières».

InfoSecurity24 stipule que les services des différents États membres, y compris bien sûr la Pologne, se préparent à une telle évolution». Le media polonais précise que le Bureau central d’enquête de la police a «inclus» un tel scénario sur la liste des priorités en matière de criminalité pénale. «La saturation des armes – qui deviendra inutile – en Ukraine sera élevée et pourrait s’étendre à l’ensemble de l’Europe. Nous voulons empêcher ce qui s’est produit après la guerre dans les Balkans lorsque les armes ont atteint de nombreux pays européens», a déclaré Paweł Półtorzycki, commandant du Bureau central d’enquête de la police (CBŚP). Il a toutefois souligné que depuis mai de cette année aucune situation de ce type n’a été observée. Il s’agit donc pour l’instant d’analyses et de prévisions. C’est également le résultat des données fournies par Frontex. La contrebande d’armes et de munitions en 2022 à la frontière extérieure de l’UE avec l’Ukraine a été jugée «faible». La plupart des cas détectés concernaient des pièces d’armes isolées, souvent des armes non létales, cachées dans des bagages à main et destinées à la protection personnelle.

Cependant, le réseau social X (ex-Twitter) du CBŚP vient de publier en septembre la découverte d’un trafic d’armes en Pologne. En juin dernier le CBŚP a découvert «150 armes à feu (armes de guerre non récentes, mais aussi des pistolets Glock), 1000 composants d’armes à feu et des munitions avec la police autrichienne et des drapeaux nazis».

«Toutefois, les préparatifs visant à inonder l’UE d’armes en provenance d’Ukraine, même s’il s’agit encore de prévisions, sont en cours», affirme InfoSecurity24. Les polices aux frontières doivent se former et des agents ont été envoyés en Moldavie. Au cours de cette activité, ils devaient rafraîchir leurs connaissances sur la manière de faire passer des armes en contrebande, sur l’équipement permettant de les détecter et sur les procédures après leur découverte lors des inspections. Frontex a élaboré un manuel destiné aux agents pour les aider à se tenir au courant du sujet. «Il convient toutefois de noter à ce stade que les Balkans restent la principale zone de transit des armes illégales importées vers l’UE», martèle le média polonais.

La route des Balkans est de plus en plus utilisée pour la contrebande en particulier pour les armes de Türkiye. Frontex rapporte que ce pays est connu pour transformer les armes utilisant des munitions à blanc (pistolets à blanc) – sont plus faciles à transporter à travers les frontières extérieures de l’UE – pour les transformer à relativement peu de frais en armes à balles réelles. InfoSecurity24 révèle que le choix de la Moldavie n’est pas dû au hasard car c’est là qu’a été créée une plaque tournante de la lutte contre le crime organisé et la contrebande d’armes en provenance d’ Ukraine. Cette création administrative doit agir comme un «guichet unique», aidant Europol et Frontex à gérer la protection des frontières et à obtenir des informations sur la contrebande d’armes et la traite des êtres humains.

Les autorités ukrainiennes, elles-mêmes, tentent de prévenir le problème des armes illégales. Elles estiment à environ 15 millions les armes de divers types non enregistrées se trouvant entre les mains de la population civile.  Après le début du conflit en février 2022, des armes ont été distribuées à pratiquement tous ceux qui voulaient se battre. Observateur Continental titrait en juillet dernier qu’ «un marché noir des armes s’est formé en Ukraine faisant de l’Ukraine un centre mondial du commerce illégal des armes» et mentionné que «le Pentagone a signalé le vol en Ukraine d’une partie des armes fournies par l’Occident» et que «dans le même temps, les dealeur​​​s d’armes de guerre avaient l’intention de les vendre au marché noir».

«Il est naturel que les autorités s’inquiètent de son commerce illégal, qui deviendra une menace pour la sécurité nationale et les intérêts non seulement de l’Ukraine, mais aussi d’autres pays, y compris, bien sûr, la Pologne», conclut InfoSecurity24 invitant les autorités ukrainiennes à considérer le contrôle le commerce des armes comme l’une des priorités du ministère ukrainien de l’Intérieur. Ces autorités ont décidé le lancement du registre national unifié des armes (entré en activité le 23 juin) qui permet de les enregistrer sans se rendre à la police, en utilisant le service en ligne ou en contactant les magasins vendant des armes.

InfoSecurity24 rappelle que l’Ukraine «avait déjà un problème de contrebande d’armes avant février 2022». Comme l’a rapporté le Projet de signalement du crime organisé et de la corruption (OCCRP) en octobre 2018, «l’Ukraine est depuis longtemps un point chaud dans le commerce mondial des armes, et cette situation s’est intensifiée depuis le début du conflit dans le Donbass en 2014».  Comme EUobserver l’avait analysé en décembre 2021, le nombre de tentatives de contrebande d’armes à feu depuis l’Ukraine vers la Pologne et d’autres pays de l’UE a augmenté ces dernières années.

Le rapport de Frontex pointe aussi du doigt la situation économique dans les pays de l’UE qui s’aggrave. Frontex attire l’attention sur le fait que «la hausse de l’inflation et les difficultés économiques rencontrées par les grandes fractions des populations augmenteront la probabilité que les armes à feu détenues légalement ou illégalement par des civils et des petites entreprises se retrouvent entre les mains de criminels».

Philippe Rosenthal



Articles Par : Philippe Rosenthal

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