En finir avec les armes nucléaires: l’Europe doit montrer l’exemple

Par  Michèle Rivasi, Molly Scott Cato, Tilly Metz et Thomas Waitz

La course mondiale à l’armement nucléaire tend à reprendre. Contre l’escalade, les eurodéputées autrices de cette tribune proposent que l’Union européenne montre l’exemple en bannissant ces armes de son territoire.

  • Actualisation mercredi 20 février 2019, 15 h — Les quatre eurodéputés auteurs de cette tribune, ainsi que leurs soutiens, ont été arrêtés à la suite de leur intrusion dans la matinée sur la base de Kleine-Brogel, indique l’ONG Agir pour la paix. Les personnes « auraient été emmenées sur la base militaire alors que la procédure aurait du les diriger vers le commissariat. La police refuse actuellement de donner la moindre information », précisait le communiqué vers 11h. Finalement, au moins Michèle Rivasi a été relâchée en début d’après-midi après avoir été entendue. Nous n’avons pas de précisions quant au sort des autres députés.

Tribune publiée mercredi 20 février 2019 au matin

Michèle Rivasi est députée européenne écologiste française, cofondatrice de la Criirad ; Molly Scott Cato est députée européenne britannique ; Tilly Metz est députée européenne luxembourgeoise ; Thomas Waitz est député européen autrichien.


Alors que certaines voix s’interrogent sur l’opportunité pour l’Allemagne de développer son propre système de dissuasion nucléaire, où les forces nucléaires françaises pourraient être intégrées dans la politique nucléaire de l’Otan (Organisation du traité de l’Atlantique Nord), où le Traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI) est remis en question par le président Trump, et où la Russie continue de déployer des missiles Iskander dans l’enclave de Kaliningrad, l’Union européenne doit proposer une initiative diplomatique pour la paix et la sécurité, ouverte à tous les acteurs désireux d’amorcer une désescalade nucléaire, afin de freiner une course aux armements dont l’Europe risque de payer un prix de plus en plus élevé.

Il est temps en effet de proposer une stratégie de désescalade au niveau européen pour réduire les risques de confrontations militaires et amorcer une transition stratégique de l’Union européenne vers une politique écologique de sécurité et de défense. Une telle stratégie de désescalade passe d’abord par le retrait des armes nucléaires tactiques du continent européen.

C’est la raison pour laquelle nous avons décidé d’agir pour alerter l’opinion et mettre cette question du désarmement nucléaire au cœur de l’agenda européen à l’orée de la campagne des élections européennes. Nous avons participé à une action de blocage de la piste de décollage des F-16 de la base aérienne de Kleine-Brogel en Belgique pour demander le retrait des missiles nucléaires états-unien sur le sol européen. Kleine-Brogel abriterait une vingtaine d’ogives nucléaires B61. Cette présence est dangereuse et obsolète : c’est un vestige de la guerre froide ; ce type d’arsenal n’est pas du tout adapté aux conflits et menaces actuelles.

Missiles OTR-21 Tochka en position de tir lors d’une parade en Russie. Ces engins peuvent emporter des ogives conventionnelles, chimiques ou nucléaires.

Nous nous sommes mobilisés aux côtés d’Agir pour la paix car nous exigeons :

  • Le retrait des bombes nucléaires américaines stationnées à Kleine-Brogel et en Italie, Pays Bas et Allemagne. Ce serait en ces temps de tumulte et de surenchère belliqueuse un signe important par le fait que l’obligation de désarmement du Traité de non-prolifération serait prise au sérieux. Cela ne mettrait nullement en péril notre sécurité mais au contraire participerait à la sauvegarde de la paix en renforçant le régime de non-prolifération. Le maintien de ces armes nucléaires par contre est un signe que les pays européens ont toujours besoin d’armes nucléaires. Il est impossible de refuser aux États d’acquérir des armes nucléaires aussi longtemps que nous-même en disposons. Nous appelons à ce que l’Europe devienne un continent ne participant plus à la stratégie de guerre nucléaire en refusant le dépôt des armes atomiques sur le territoire européen, en ne s’équipant pas d’avions capables de les utiliser et en développant une diplomatie cohérente et forte en prévention des conflits. Nous voulons ne pas confier notre « sécurité » au pari fou et de la dissuasion qui échoue à nous garantir 100 % de fiabilité.
  • La signature par tous les États membres de l’Union européenne du Traité d’interdiction des armes nucléaires (voté en juillet 2017 par l’Assemblée générale des Nations unies et en cours de signature et de ratification par les États). À l’heure d’aujourd’hui dans le monde, il y a encore environ 15.000 bombes nucléaires en circulation, dont près de 5.000 en état d’alerte constante. L’arsenal mondial est capable de détruire 30 fois la planète. Les bombes B61 présentes en Belgique peuvent aller jusqu’à 340 kilotonnes (kt), soit 23 fois celle de Hiroshima. L’arme nucléaire demeure l’une des plus grandes menaces pour la planète et l’humanité. Nous appelons tous les États membres de l’UE de signer et de ratifier au plus vite ce traité. Nous rappelons d’ailleurs que le 27 octobre 2016, le Parlement européen a adopté une résolution qui soutient les négociations d’un traité interdisant les armes nucléaires. Cela impliquerait un retrait unilatéral des bombes américaines hébergées à Kleine-Brogel et sur d’autres bases en Europe.
  • Faire de l’Europe une zone exempte d’armes nucléaires (Zean), comme il en existe déjà six actuellement reconnues par les Nations unies. Nous voulons que l’Europe devienne une zone exempte d’armes nucléaires aux yeux de la communauté internationale. Si elle était reconnue par l’ONU, il s’agirait de la première Zean se situant dans l’hémisphère Nord, l’hémisphère Sud étant lui majoritairement couvert par les Zean.

Les États européens bafouent leurs engagements internationaux

Rappelons que l’arme nucléaire est considérée comme illégale par de nombreux traités internationaux et notamment les Conventions de Genève (selon le premier protocole additionnel, il est interdit d’utiliser des « méthodes ou moyens de guerre qui sont conçus pour causer, ou dont on peut attendre qu’ils causeront, des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel » ; il y est aussi stipulé que les États ne peuvent en aucun cas utiliser une arme qui ne ferait pas la distinction entre victimes civiles et militaires) et le Traité de non-prolifération (TNP, dont l’article 6 dispose que tous les États s’engagent à poursuivre de bonne foi les négociations vers un désarmement nucléaire complet).

Par ailleurs, dans un avis rendu en 1996, la Cour internationale de justice considère que l’existence des armes nucléaires fait courir un grave danger à l’humanité. Elle conclut : « La menace ou l’emploi d’armes nucléaires sont en principe incompatibles avec le droit des conflits armés, mais la Cour ignore s’il en serait encore ainsi en cas de légitime défense lorsque la survie de l’État est en cause. »

Les États européens bafouent donc depuis des décennies, sous couvert de dissuasion nucléaire, leurs engagements internationaux.

La résolution votée par le Parlement européen en 2016 envoie un signal clair de désescalade dans un monde en plein chaos. Les États européens devraient suivre ces recommandations.

Nous voulons une Europe qui construise la paix et non qui se prépare à la pire des guerres : la guerre nucléaire.



Articles Par : Collectifs d'auteurs

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