De sombres vérités sur Israël passées sous silence

Tony Greenstein révèle une omission flagrante dans la nouvelle biographie de Rudolf Vrba, premier juif à avoir échappé à Auschwitz et critique virulent du mouvement sioniste.

Tony Greenstein expose de manière flagrante la façon dont le chroniqueur du Guardian Jonathan Freedland a déformé l’histoire dans sa biographie de Rudolf Vrba, le premier Juif à s’être échappé d’Auschwitz.

On est en droit de se demander pourquoi l’incroyable histoire de Vrba a été enterrée pendant des décennies, compte tenu de l’engouement d’Hollywood pour les films sur l’Holocauste.

Greenstein l’explique. Les efforts déployés par Vrba au début de l’année 1944 pour avertir d’autres Juifs du sort qui les attendait dans les camps de la mort nazis ont été trahis par les dirigeants européens du mouvement sioniste, qui l’ont réduit au silence.

Ce mouvement était prêt à sacrifier des centaines de milliers de Juifs en échange d’une escorte nazie mettant l’élite sioniste à l’abri du danger européen à destination de la Palestine. Là, le mouvement sioniste était déjà bien préparé à expulser les Palestiniens autochtones et à construire un État juif autoproclamé sur les ruines de leur patrie.

L’attitude des sionistes reflète celle du père fondateur du mouvement, Theodor Herzl :

“Les antisémites deviendront nos amis les plus sûrs, et les pays antisémites nos alliés”.

Vrba critiquait vivement le mouvement sioniste pour avoir collaboré avec les nazis et n’aimait pas l’État juif qu’il avait engendré.

En 1961, le Daily Herald a publié un extrait des mémoires de Vrba, cité par Greenstein, dans lequel il écrit :

“Je suis juif. Malgré cela, et même à cause de cela, j’accuse certains dirigeants juifs d’avoir commis l’un des actes les plus horribles de la guerre. Ce petit groupe de traîtres savait ce qu’il advenait de leurs frères dans les chambres à gaz d’Hitler, et a acheté sa propre vie au prix du silence […].

“J’ai pu avertir les dirigeants sionistes hongrois trois semaines à l’avance qu'[Adolf] Eichmann [principal architecte de l’Holocauste] prévoyait d’envoyer un million de leurs Juifs dans ses chambres à gaz … [Rezso] Kasztner [dirigeant du mouvement sioniste hongrois] est allé voir Eichmann et lui a dit : ‘Je suis au courant de vos plans. Epargnez quelques Juifs de mon choix et je me tairai’”.

La trahison de Kasztner envers ces Juifs, les condamnant aux chambres à gaz nazies, a été justifiée plus tard par le procureur général d’Israël, Haim Cohen, dans les termes suivants :

“Il était en droit de passer un accord avec les nazis pour sauver quelques centaines de personnes et de ne pas avertir les millions d’autres… C’était son devoir… Notre tradition sioniste a toujours été de sélectionner un petit nombre de personnes pour organiser l’immigration vers la Palestine… Serions-nous qualifiés de traîtres ?”

[Voir : La trahison de l’alliance nazi-sioniste].

Voilà pourquoi le musée israélien de l’Holocauste, Yad Vashem, a effectivement supprimé de ses salles l’étonnante histoire de Vrba, et pourquoi les écoliers israéliens n’apprennent rien sur lui. C’est aussi pourquoi Hollywood n’a jamais repris l’histoire la plus hollywoodienne de l’Holocauste.

L’histoire de l’antisioniste Vrba expose les fondements idéologiques d’Israël, qui était en totale sympathie avec les ignobles nationalismes ethniques européens qui ont culminé dans le nazisme. Son histoire explique comment Israël a toujours été prêt à commettre un génocide à Gaza, et le fait actuellement.

Lorsque l’idéologie devient plus importante que la vie humaine, les gens – même ceux que vous considérez comme les vôtres – deviennent sacrifiables. Ils sont traités comme des pions dans un jeu féroce de politique de pouvoir.

David Ben Gourion, le père fondateur d’Israël, a exprimé précisément ce sentiment en décembre 1938, alors que les pogroms nazis contre les Juifs faisaient rage en Allemagne :

“Si j’avais pu sauver tous les enfants d’Allemagne en les emmenant en Angleterre, et seulement la moitié en les transférant en Terre d’Israël, j’aurais choisi cette dernière solution, car ce n’est pas seulement le nombre de ces enfants qui se joue, mais aussi l’histoire du peuple d’Israël”.

La tâche de Freedland dans son livre The Escape Artist était de s’approprier l’histoire de Vrba, de la dépouiller de son message antisioniste et de l’incorporer dans le récit sioniste aujourd’hui dominant, soigneusement élaboré après la Seconde Guerre mondiale.

Voilà pourquoi la biographie a reçu des prix et des éloges sans fin de la part des habituels suspects. L’histoire de la vie de Vrba est sans aucun doute prête pour un relooking hollywoodien qui, s’il a lieu, enrichira grandement Freedland.

“La tâche de Freedland dans son livre The Escape Artist était de s’approprier l’histoire de Vrba, de la dépouiller de son message antisioniste et de l’incorporer dans le récit sioniste aujourd’hui dominant, soigneusement élaboré après la Seconde Guerre mondiale”.

Grâce à lui, la menace que représentait la véritable histoire de Vrba a été neutralisée. Cela concorde avec le sort général des Juifs antisionistes : leur existence est soit ignorée, soit aseptisée pour s’accorder avec une interprétation sioniste complaisante de l’histoire.

Ce processus se poursuit encore aujourd’hui :

Les nombreux Juifs antisionistes qui ont soutenu Jeremy Corbyn ont été soit ignorés, soit chassés du Parti travailliste parce qu’ils ont sapé le récit antisémite bidon que Freedland et beaucoup d’autres ont promu pour se débarrasser d’un dirigeant qui soutenait véritablement le droit du peuple palestinien à la création d’un État.

Et les nombreux Juifs antisionistes qui participent aux marches de protestation contre le génocide à Gaza ont disparu parce qu’ils font mentir les discours des médias de l’establishment visant à dépeindre ces marches comme étant antisémites.

Manifestation devant le bureau et le domicile du Premier ministre britannique pro-sioniste Keir Starmer, le 12 août. (Alisdaire Hickson, Flickr, CC BY-SA 2.0)

On notera que des dirigeants israéliens comme le Premier ministre Benjamin Netanyahu ont conclu des alliances privilégiées, tout comme Herzl le recommandait, avec des États ouvertement antisémites comme la Hongrie de Viktor Orban. Ils ont poursuivi la tradition initiée par Kasztner, qui s’est sauvé et a sauvé ses amis sionistes en sacrifiant des centaines de milliers de Juifs hongrois.

Soulignons aussi que, depuis des décennies, les gouvernements israéliens glissent inexorablement vers la droite, au point que des ministres de premier plan, comme Bezalel Smotrich, ministre des Finances, se déclarent ouvertement “fascistes juifs”.

Néanmoins, leur idéologie sioniste n’est guère différente de celle de leurs prédécesseurs prétendument “modérés”. La principale différence réside dans le fait qu’ils ne s’excusent pas de leur suprématisme juif et qu’ils affichent haut et fort leur mépris pour la vie des Palestiniens.

Le sionisme ressurgit simplement d’un placard où il a été en partie contraint de s’enfermer par la nécessité rhétorique de revendiquer une base morale pour ses actions et son souci d’apaiser l’opinion publique occidentale.

Ce n’est pas le fasciste autoproclamé Smotrich qui commet un génocide à Gaza. Ce sont les généraux de l’establishment israélien et son armée de citoyens.

M. Greenstein a récemment publié un livre essentiel, Zionism During the Holocaust [Le sionisme pendant l’Holocauste], qui traite en profondeur de la collusion entre ceux qui ont contribué à la fondation d’Israël et les nazis. Je recommande à tous de le consulter.

Jonathan Cook

 

Article original en anglais : Jonathan Freedland rewrites history to hide an ugly truth about Israel, Le blog de Jonathan Cook, le 25 août 2024.

Version française : Consortium News

Image en vedette : Entrée d’Auschwitz. (Wikimedia Commons, CC BY 2.5)



Articles Par : Jonathan Cook

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