Assange va témoigner à Strasbourg sur sa détention politique en tant que journaliste

Ce sera le premier témoignage public d'Assange depuis qu'il a été arrêté et expulsé de l'ambassade de l'Équateur à Londres en 2019.

“Il est paradoxal qu’Assange, en révélant les milliers de morts avérées non signalées par les USA, soit accusé d’avoir mis des vies en danger, sans qu’aucune preuve ne vienne étayer cette accusation.”

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Le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, se rendra à Strasbourg, en France, pour témoigner devant la commission des questions juridiques et des droits de l’homme du Conseil de l’Europe le 1er octobre. Il s’agira de son premier témoignage public depuis son arrestation et son expulsion de l’ambassade de l’Équateur à Londres en 2019.

La commission fait partie de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, un organe international composé de parlementaires de chaque État membre de l’Union européenne. M. Assange apportera son témoignage sur la nature politique des poursuites engagées contre lui par le gouvernement des États-Unis, qui ont abouti à un accord de plaidoyer en juin.

L’emprisonnement politique d’Assange fait partie d’un examen plus large par l’assemblée des menaces accrues pesant sur les journalistes et les lanceurs d’alerte en Europe, engagé alors qu’Assange était encore détenu à Belmarsh.

Les 13 et 14 mai, Mme Ævarsdóttir s’est rendue au Royaume-Uni pour rendre visite à M. Assange à la prison de Sa Majesté Belmarsh. Elle s’est entretenue avec M. Assange pendant deux heures et a également rencontré sa femme Stella Assange, son avocat Gareth Peirce, David Morris, président de la délégation britannique à l’Assemblée, et Jeremy Corbyn, membre de l’Assemblée. Elle a également rencontré plusieurs anciens fonctionnaires des Nations unies, des avocats, des journalistes, des psychiatres, des défenseurs des droits de l’homme et des représentants de la société civile.

Bien que le ministère de l’intérieur britannique ait approuvé la demande d’extradition d’Assange, il a refusé de mettre un représentant à disposition pour une rencontre avec Ævarsdóttir.

Þórhildur Sunna Ævarsdóttir, rapporteur général pour les prisonniers politiques et députée islandaise membre de la commission des affaires juridiques et des droits de l’homme, a rédigé un rapport sur M. Assange. Elle a conclu qu’il répondait à la définition de prisonnier politique de l’assemblée.

“L’inculpation d’Assange en vertu de la loi américaine sur l’espionnage pour des activités journalistiques essentielles, telles que l’obtention et la publication d’informations d’un grand intérêt public, constitue une ingérence manifestement abusive de sa liberté d’expression”, a affirmé Mme Ævarsdóttir. “Je pense en outre que les poursuites engagées contre lui aux États-Unis et sa longue détention au Royaume-Uni ont été motivées par l’intention de dissimuler des actes répréhensibles du gouvernement et de dissuader d’autres personnes de suivre l’exemple de M. Assange.

“Ainsi, la détention de M. Assange a été principalement motivée par des considérations de nature politique.”

Un projet de résolution reproche au gouvernement des États-Unis d’avoir “détourné” l’Espionage Act de 1917 pour poursuivre M. Assange. Il affirme que les charges retenues contre M. Assange

“ont eu un effet dissuasif dangereux, en décourageant les éditeurs, les journalistes et les lanceurs d’alerte de dénoncer les fautes du gouvernement, ce qui a gravement porté atteinte à la liberté d’expression et ouvert la voie à de nouveaux abus de la part des autorités de l’État”.

Il est donc recommandé au gouvernement américain de réformer la loi sur l’espionnage et de

“subordonner son application à la présence d’une intention malveillante de nuire à la sécurité nationale des États-Unis ou d’aider une puissance étrangère” et “d’exclure l’application de la loi sur l’espionnage aux éditeurs, journalistes et lanceurs d’alerte qui divulguent des informations classifiées dans l’intention de sensibiliser le public et d’informer sur des crimes graves, tels que le meurtre, la torture, la corruption ou la surveillance illégale”.

En outre, la proposition de résolution presse le gouvernement américain d’enquêter sur les

“crimes de guerre et les violations des droits de l’homme présumés divulgués par WikiLeaks et M. Assange, en demandant des comptes aux responsables et en s’attaquant à la culture de l’impunité envers les agents de la Défense ou ceux qui agissent sur leur ordre.”

Elle exige que les responsables américains coopèrent “en toute bonne foi avec les autorités judiciaires espagnoles” qui enquêtent sur l’opération de surveillance menée à l’encontre de M. Assange, de sa famille et de son équipe juridique alors qu’il bénéficiait de l’asile politique au sein de l’ambassade.

En dépit de l’objection de Richard Keen, membre du Parti conservateur au Parlement britannique, le projet de résolution exprime sa consternation quant au fait que le Royaume-Uni – un État membre – a aggravé la persécution politique subie par Assange en ignorant les preuves de torture et d’abus.

“Les autorités du Royaume-Uni n’ont pas protégé efficacement la liberté d’expression et le droit à la liberté de M. Assange, l’exposant à une détention prolongée dans une prison de haute sécurité malgré la nature politique des accusations les plus graves portées contre lui”, selon le projet de résolution. “Sa détention en vue d’une extradition a largement dépassé la durée raisonnable acceptable à cette fin.

“L’Assemblée regrette que la loi sur l’extradition de 2003 ait supprimé l’exemption pour infraction politique de la loi britannique sur l’extradition, exposant ainsi les dissidents et les membres de l’opposition au risque d’être extradés vers des États qui les poursuivent pour des motifs politiques”, indique le projet de résolution.

Dans le cadre de la résolution, les États membres et observateurs du Conseil de l’Europe sont encouragés à protéger les lanceurs d’alerte menacés de représailles, notamment en leur offrant l’asile. Le projet de résolution recommande de ne pas extrader les personnes inculpées pour des activités journalistiques et d’étendre les lois de protection des lanceurs d’alerte et les lois sur le bouclier des journalistes.

M. Keen a exprimé son désaccord avec le rapport sur l’emprisonnement politique de M. Assange, déplorant qu’il “minimise le sort des véritables prisonniers politiques”, comme ceux détenus en Russie. Il a insisté sur le fait qu’Assange n’aurait pas été torturé lorsqu’il était détenu à Belmarsh.

Mme Ævarsdóttir a notamment contesté un aspect de l’accord de plaidoyer qui incrimine M. Assange pour avoir publié des “documents classifiés bruts”.

“Plus de 13 ans se sont écoulés depuis la publication des documents non expurgés, et aucune preuve n’a été apportée montrant que les publications de WikiLeaks ont porté préjudice à qui que ce soit”,

a déclaré Mme Ævarsdóttir. L’accord de plaidoyer lui-même indique clairement que

“à la date de l’accord de plaidoyer, les États-Unis n’ont identifié aucune victime pouvant prétendre à une restitution individuelle et, par conséquent, ne requièrent pas d’ordonnance de restitution.

“Je trouve paradoxal qu’alors que M. Assange a révélé des milliers de décès confirmés et non signalés auparavant aux mains des forces américaines et de la coalition en Irak et en Afghanistan, il soit accusé d’avoir mis de nombreuses vies en danger, sans qu’aucune preuve de cette affirmation n’ait été présentée.”

Mme Ævarsdóttir s’est alarmée du fait que les procureurs américains ont insisté pour qu’Assange

“plaide coupable d’une accusation en vertu de la loi sur l’espionnage plutôt que d’accepter sa défense selon laquelle il agissait en tant que journaliste dans l’intérêt public lorsqu’il a publié les documents classifiés.”

Auparavant, des représentants du Conseil de l’Europe ont ouvertement soutenu Assange. Dunja Mijatović, alors Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, s’est opposé à l’extradition en février 2020 et en janvier 2022 en raison de “l’effet dissuasif mondial” qu’elle aurait sur la liberté de la presse. Pieter Omtzigt, ancien rapporteur général de l’assemblée sur la protection des lanceurs d’alerte, s’est exprimé sur l’affaire en septembre 2021 et en janvier 2022.

En 2011, l’Assemblée a adopté une résolution qui “salue la publication par WikiLeaks de câbles diplomatiques” confirmant “la véracité des allégations de détentions secrètes et de transferts illégaux de détenus” par la CIA.

Kevin Gosztola

 

Lien vers l’article original : Assange To Testify On Political Imprisonment For Engaging In Journalism, The Dissenter, 24 septembre 2024.

Traduction : Spirit of Free Speech

Image en vedette : Capture d’écran. Le Palais de l’Europe, où se réunit l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, sous licence Creative Commons. Photo de famille de Julian Assange.



Articles Par : Kevin Gosztola

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